C’est le barrissement d’un rhinocéros blanc du Nord, enfermé dans un espace blanc aseptisé, qui accueille le visiteur au premier étage du musée. L’œuvre vidéo en images de synthèse de l’artiste londonienne Alexandra Daisy Ginsberg fait revivre cette espèce, considérée comme fonctionnellement éteinte depuis mars 2018. Cette première partie de l’exposition vise ainsi à conserver la mémoire d’un monde en disparition et à lutter contre l’« amnésie environnementale », explique la commissaire de l’exposition, Marilou Laneuville. Théorisé par le psychologue Peter H. Kahn, ce concept explique comment les humains s’accommodent à la dégradation de leur environnement en oubliant le monde d’avant. Chaque génération prend comme référentiel ce qu’elle a connu dans sa jeunesse. Ainsi, les futures générations ne seront probablement pas contrariées de ne pouvoir skier en hiver, puisqu’elles n’auront jamais vu de neige depuis leur naissance.
Dans la deuxième partie de l’exposition, consacrée à la fragilité de la nature, une autre vidéo et des tapisseries hautes en couleur de la même artiste présentent des champs de fleurs à hauteur d’abeille. Les mêmes pollinisateurs ont inspiré l’œuvre Supraorganism de la Clermontoise Justine Emard : un ensemble suspendu de cloches et de bulbes en verre, qui s’anime selon les comportements d’un essaim d’abeilles.
Métamorphoses et récits d’anticipation
Enfin, la troisième partie plonge le visiteur dans des futurs imaginaires. Fascinée par les musées d’histoire naturelle, l’artiste canado-germano-costaricienne Bianca Shonee Arroyo-Kreimes présente The Pond, un diorama peuplé d’insectes du futur (photo). Inspirée par son enfance passée au milieu de la forêt tropicale, l’artiste de 32 ans a travaillé sur le mimétisme. Cette technique de camouflage permet à des espèces vulnérables de se protéger contre des prédateurs en prenant l’apparence d’une autre espèce dangereuse. « Le prédateur le plus dangereux est l’homme », explique la jeune femme. Dans son univers, on trouve ainsi des fleurs montées sur des pieds de micro qui ondulent au gré du vent, sur fond de coraux en gélatine assemblés par des vis en inox. Les insectes qui batifolent dans ce monde coloré s’approprient d’autres objets courants, comme des boucles de ceinture et des lampes de vélo, pour se protéger des humains. Un QR code sur le cartel de l’exposition active une application de réalité augmentée qui remplit l’espace de libellules et autres bestioles volantes, à moins qu’elles ne se cachent. « Elles ont leur propre vie », explique l’artiste les aléas de la réalité virtuelle.
Une autre approche du thème floral envahit la salle voisine, où Léa Collet a transformé virtuellement des collégiens en fleurs pour les adapter à la crise climatique. L’artiste a travaillé pendant un an avec une classe de 3e du collège Marie Curie de Tourcoing. « Au début, ça leur faisait peur », se souvient la jeune femme originaire de Neuville-sur-Saône. « Le fait de ne pas pouvoir bouger, parler, le risque de se faire écraser par des humains. » Accompagnés par leurs professeurs d’art plastique et de SVT, les élèves ont rencontré des biologistes de l’université de Lille qui leur ont fait découvrir « les super-pouvoirs des plantes », poursuit l’artiste de 35 ans. Notamment leur grande capacité de résilience et d’adaptation. Après avoir vu leur mutation en images de synthèse, les collégiens se sont finalement trouvés des airs de manga ou de superhéros Marvel. « Le projet les a fait réfléchir », se félicite l’artiste. « Ils me disent qu’ils font désormais plus attention au vivant. »
Si les artistes exposés font désormais un vaste usage de l’intelligence artificielle, la poursuite de la visite invite à un retour vers le passé, aux prémices de la révolution informatique. Au début du Musée d’art contemporain de Lyon aussi, dont la toute première exposition, il y a 30 ans, explorait déjà l’impact de ce qu’on appelait alors les « nouvelles technologies ». Un mur d’image au rez-de-chaussée rappelle l’événement organisé en 1995 à l’occasion des 100 ans de l’invention du cinéma par les frères Lumière. À cette époque, 12 ans avant la sortie du premier iPhone, Internet était encore balbutiant et les salles obscures accueillaient des œuvres dystopiques comme Ghost in the Shell et, quelques années plus tard, Matrix, se souvient Matthieu Lelièvre, le commissaire de l’exposition Univers programmés qui occupe les 2e et 3e étages du musée.
Aux origines du numérique
Composée d’œuvres créées entre 1973 et nos jours, cette exposition fait une large place à l’interactivité et à l’expérimentation. Dès l’arrivée, des ordinateurs invitent à la visite virtuelle des salles à l’aide d’une manette de jeu, une œuvre du duo français Kolkoz. Le vélo de Jeffrey Shaw et Dirk Groeneveld propose une navigation virtuelle dans un monde aussi coloré que sommaire. Créée en 1991, cette animation fait aujourd’hui figure de fossile, comparée à n’importe quel jeu vidéo actuel. Non loin, Intro Act de Christa Sommerer et Laurent Mignonneau permet de dessiner des formes végétales et minérales sur un écran géant à force de s’agiter devant un capteur. Créée en 1995 pour la Biennale de Lyon, l’œuvre est issue de la collection permanente du MAC.
Les technologies du XXIe siècle ne sont pas en reste pour autant. Les Milanais Eva et Franco Mattes ont récréé un chat à deux pattes dont l’image originelle, tronquée par Google Maps, a fait le tour d’Internet. Les Français Brodbeck et de Barbuat ont demandé à une intelligence artificielle de reproduire deux images : la photo iconique de Robert Capa saisissant la mort d’un soldat abattu pendant la guerre civile en Espagne, ainsi qu’une autre, fruit du travail intime de la photographe américaine Nan Goldin. Avec une fidélité somme toute assez relative. Tout comme la poignée de main coulée dans la résine par l’artiste néerlandais Constant Dullaart qui rappelle les difficultés des premières IA à représenter correctement une main humaine, dotée du bon nombre de doigts et sans croiser les phalanges. En face, le Parisien Raphaël Fabre fait danser Eric Zemmour et Gérald Darmanin torse nu sur des airs électro. Créée également par une intelligence artificielle, la vidéo de type deep fake appelée The Liar’s Dividend dénonce « un phénomène qui pollue l’ensemble des systèmes informationnels de nos jours », explique le musée.
La visite ne serait pas complète sans avoir poussé le double rideau qui cache l’animation Core d’Adrien M et Claire B. Dans une pièce plongée entièrement dans le noir, des points blancs dansent sur les quatre murs, tels un ballet céleste. Ils deviennent traits, puis se muent en vagues voluptueuses. Ondulant sur une musique douce et envoûtante, elles offrent un havre de paix en parfait contraste avec le grésillement effréné des multiples ordinateurs à l’extérieur. Un temps de méditation qui invite à poursuivre la réflexion sur les bouleversements de notre monde moderne.
Comme à l’habitude, la programmation du MAC réserve une place importante à la médiation et la rencontre. Les prochains rendez-vous :
- Samedi 8 mars, 15h30 : rencontre avec les artistes Ittah Yoda
- Dimanche 16 mars, 10h, mercredi 19 mars, 10h et 16h30, samedi 22 mars, 16h30 : animations pour les 1 à 3 ans
- Dimanche 23 mars, 14h30 et 16h : concert par l’Orchestre national de Lyon
- Jeudi 27 mars : nocturne étudiante
Info : du 7 mars au 13 juillet 2025, tarifs et horaires sur www.mac-lyon.com