Actuellement à l’Opéra de Lyon
Puissance vocale et décors imposants : tels sont les maîtres mots pour qualifier le Tristan et Isolde de Richard Wagner, sous la direction musicale de Kirill Petrenko, dont la première a été donnée le 4 juin à l’Opéra de Lyon.
Ils ne passent pas inaperçus : eux, ce sont bien sûr Tristan, héros de Cornouailles, alias le ténor américain Clifton Forbis et Isolde, princesse d’Irlande, alias la soprano danoise Ann Petersen. Le public – surtout aux premiers rangs, où l’on ressent physiquement les ondes vibratoires de leurs voix nous traverser – ne peut être qu’impressionné par la puissance vocale de ces deux artistes. Et il en faut pour chanter du Wagner. Le pauvre Ludwig Schnorr von Carosfeld, le premier ténor, chéri par Wagner, à avoir interprété le rôle de Tristan lors de la première le 10 juin 1865 devant le roi Louis II de Bavière au théâtre de la cour de Munich, en meurt à peine un mois plus tard, le 21 juillet 1865…
Les décors d’Alfons Florès, imaginés par le metteur en scène Alex Ollé, ne peuvent non plus passer inaperçus par leur taille imposante et la fascination qu’ils exercent : une énorme sphère apparaît dès l’ouverture de l’Opéra. Cette boule géante semble être faite de béton grisâtre sur laquelle sont projetées des images lunaires. En arrière-plan, des vagues en mouvement d’une mer noire sous un ciel étoilé nous invitent d’emblée dans un espace-temps menaçant et passionnel. Des projections de silhouettes de troncs d’arbre sur la sphère – qui s’ouvre en deux pour se transformer tantôt en château-prison du roi Marke, tantôt en château-fort de Tristan – complète l’ambiance bucolique, froide et nocturne de l’ensemble, bref, très romantique, très… wagnérienne. Des décors épurés, sombres et modernes qui ne sont pas sans rappeler la façade demi-cylindrique de l’Opéra de Lyon lui-même, conçu par Jean Nouvel.
La seule note de chaleur dans cet opéra est donnée par les projections de cercles de feu qui encerclent le couple Tristan et Isolde à la scène 2 de l’acte II, symbole de leur amour ardent et fatal. Une intention scénographique ici peut-être un peu lourde, en tout cas un tantinet kitch. Cette scène offre néanmoins une autre surprise : tout à leur sommeil amoureux, Tristan et Isolde sont bercés par une très jolie voix de mezzo-soprano qui semble surgir de nulle part : mais où est donc la chanteuse ? Ne cherchez pas, vous ne la verrez pas. Elle est cachée derrière les décors. La jolie voix en question est celle de l’Arménienne Stella Grigorian - alias Brangaine, la servante d’Isolde. Née en Géorgie, cette jeune femme de 39 ans possède une voix très mélodieuse et infiniment touchante – ce qui fait justement défaut aux autres interprètes de cet opéra wagnérien. Stella, qui raconte comment elle a « appris à chanter en écoutant des voix de-ci, de-là » et comment elle « demandait aux autres chanteurs lorsqu’elle ne savait pas faire » - elle est tout de même diplômée du Conservatoire de Vienne - nous donne la clef de cette si jolie voix : c’est peut-être tout simplement celle qui vient du cœur.
Tristan et Isolde est un opéra inspiré d’une légende médiévale bretonne. Wagner a choisi la version de Gottfried de Strasbourg pour écrire son livret. Une histoire d’amour tragique. La passion dont se consument Tristan et Isolde n’est pas naturelle : elle est le fruit d’un philtre. Elle n’en est pas moins désormais réelle, dévorante et éternelle. Béatitude ou damnation ? Hélas le philtre d’amour était destiné au roi Marke, l’oncle de Tristan. Son union avec Isolde devait être un gage de paix entre l’Irlande et la Cornouailles.
Coupable de trahison aux yeux de son oncle, Tristan est abattu par l’un de ses hommes de main. Dans le coma – « dans le vaste royaume de la nuit » - il n’en revient que pour revoir celle qu’il aime ardemment, Isolde. Il la reverra, mais seulement pour mourir dans ses bras. La sphère, ici, devient tombeau spectral. Isolde voit l’âme décorporée de Tristan décédé : « Le voyez-vous, amis ? Vous ne le voyez pas toujours plus clair, comme il brille, comme il s’élève rayonnant d’étoiles ? ».
Transfigurée, un halo lumineux, une sainte gloire autour de sa tête, Isolde meurt d’amour et rejoint son amant dans l’au-delà : « Dans le flot qui monte, dans le son qui vibre, dans la grande respiration du souffle du monde me noyer, m’engloutir, sans conscience – Extase ! ». Comme l’écrivit au 12ème siècle avec tant de poésie Marie de France dans le Lai du chèvrefeuille, poème dédié à Tristan et Isolde : « Belle amie, ainsi est de nous : Ni vous sans moi, ni moi sans vous ! ».
Info : Opéra de Lyon, jusqu’au 22 juin.
Publié le : lundi 6 juin 2011, par