Lyon Info censuré par Facebook

La photo qui a mis Lyon Info à l’index de Facebook

Mis au ban par Facebook, Lyon Info n’est plus accessible sur le célèbre réseau social. En cause, une photo prise à la Gay pride. Une censure qui n’est pas un acte isolé. Enquête sur la façon dont Facebook s’apprête à façonner nos esprits.

Samedi, 18 juin. La Gay pride bat son plein. 10 000 personnes s’écoulent dans les rues de Lyon dans une ambiance festive. De nombreuses filles en soutien-gorge, des garçons en caleçon. Puis, une personne complètement nue. Parmi les 144 photos publiées un peu plus tard sur la page de Lyon Info, un cliché montre donc cette personne dans son plus simple appareil. C’en est trop pour le site de socialisation américain. A 22h19, la sentence tombe : « Vous avez téléchargé une photo qui enfreint nos Conditions d’utilisation. Cette photo a donc été supprimée », annonce laconiquement un e-mail. Jusque là, rien de choquant. Mais dans la foulée, la page et le profil administrateur ont également été désactivés. Soit des milliers de clichés et d’articles désormais inaccessibles sur le site.

En mai, quelque 6600 personnes étaient abonnées au fil d’actualités de Lyon Info sur leur mur et 3425 lecteurs ont consulté Lyon Info à partir de Facebook. Cela représente certes moins de 10% du lectorat du site, mais néanmoins autant de personnes qui n’auront plus accès à l’actualité lyonnaise de cette façon.

« Une photo est supprimé si elle comporte des scènes de nudité, de consommation de stupéfiants, tout autre contenu obscène [ou si elle] porte atteinte à une personne ou à un groupe de personnes », préviennent les conditions d’utilisation du site. Une notion extrêmement vague qui donne lieu à une censure exercée dans la plus grande opacité. Car la société Facebook France est injoignable. Enregistrée sous le numéro B 509 004 305 au registre du commerce de Paris, elle serait domiciliée au 28 rue Hamelin, dans le 16ème, où elle emploierait une poignée de salariés. Dans les Pages jaunes, 4 sociétés sont enregistrées à cette adresse. Mais point de Facebook.

Une censure puritaine généralisée

Lyon Info est loin d’être la seule victime des agissements du site. La recherche « Facebook censure », renvoie pas moins de 4 280 000 réponses sur Google. En février, un artiste danois, Frode Steinicke a vu son profil désactivé, pour avoir publié sur son profil le tableau L’Origine du monde de Gustave Courbet de 1886, représentant un sexe féminin. « Ce tableau célèbre, qui fait partie de l’héritage culturel français, était destiné à illustrer mes commentaires sur une émission de DR2 (la 2e chaîne publique de télévision, ndlr) sur le sexe nu », s’est étranglé l’artiste auprès de l’AFP.

Mais Facebook s’en fiche de l’art. Le site veut être un « milieu virtuel sûr à visiter, y compris pour les nombreux enfants qui l’utilisent », déclare-t-il. Et le « milieu virtuel sûr » s’entend à la lumière du puritanisme américain. Exit donc le moindre bout de sein nu, comme les photos de femmes en train d’alaiter, ou ayant subi une ablation du sein et voulant en parler sur leur mur. Sans parler des images d’homosexuels s’embrassant, tout autant victimes de la censure de Facebook. Même la chanteuse Kylie Minogue en a fait les frais. Supprimée la photo qui la montre avec un nounours en peluche dans les bras de façon que le micro qu’elle tient à la main soit posé sur le bas-ventre du doudou.

Si ces agissements sont aussi dangereux, c’est que la force de frappe de Facebook est énorme. En mars dernier, 693 millions de visiteurs uniques dans le monde (âgés de 15 ans et plus) ont visité le site au moins une fois, selon les chiffres du cabinet ComScore, soit une progression de 43% par rapport à mars 2010. En France, le site est passé deuxième derrière Google mais devant MSN, avec ses 25 millions de visiteurs en avril, selon Médiamétrie. Pire, Facebook représente désormais un vecteur d’information important. Selon une étude du Pew Research Center et de Nielsen, menée pendant 9 mois sur 24 sites majeurs d’information américains, parmi lesquels CNN, The New York Times, ABC News ou encore Huffington Post, Facebook est la première source d’audience pour 7 d’entre eux (tandis que Google le reste pour les autres). Les marchés financiers ne s’y sont pas trompés. L’introduction en bourse, prévue début 2012, pourrait valoriser l’entreprise 100 milliards de dollars (70 milliards d’euros).

Internet contrôlé par les sites américains

Aujourd’hui, de nombreux secteurs sur Internet sont dominés par des sites en situation de (quasi-)monopole. C’est le cas de Facebook, mais aussi d’ebay, d’Amazon ou encore de Google. Parmi ces sites, tous américains, Facebook est de loin le plus dangereux, Non seulement, il s’agit du seul site à censurer ouvertement l’information publiée, mais il s’imbrique aussi le plus étroitement dans la vie privée des internautes. Amitiés, amours, photos, soirées, évènements, coup de cœur ou coup de gueule, tout se partage sur Facebook. Et le site ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. Il a déjà lancé une fonction e-mail, proposant désormais une adresse à chaque inscrit, dans le but de supplanter les services de messagerie de Google, Yahoo et Hotmail. Un service de recherche sur Internet, basé sur les préférences des amis est en préparation pour marcher un peu plus sur les platebandes de Google. Et on peut parier qu’un Facebook Marketplace concurrençant eBay n’est pas bien loin. L’objectif derrière tout ça : faire de Facebook le service unique de centaines de millions d’internautes, qui se retrouveraient alors pied et poing liés au site américain. Jusqu’à ce qu’il supprime leur profil.

Publié le : dimanche 19 juin 2011, par Tony Truand