Dinosaures

Les plus grosses empreintes au monde découvertes dans l’Ain

« C’est une découverte unique et extraordinaire ! » Jean-Michel Mazin, directeur de recherche en Paléontologie au CNRS, a répété cette phrase à longueur d’interviews. Depuis le début de la semaine, tous les yeux de la communauté scientifique se tournent vers Plagne, un petit village entre Bellegarde et Oyonnax dans l’Ain. C’est ici que Jean-Michel Mazin et Pierre Hantzpergue, professeur de géologie à l’Université Lyon 1, ont identifié ce qui apparaît comme le plus grand site d’empreintes de dinosaures au monde.

Le site de Plagne est à tout point de vue exceptionnel. Les traces découvertes mesurent entre 1,20 et 1,50m de diamètre intérieur (environ 2m en comptant l’excroissance autour). Les plus grandes empreintes découvertes jusqu’alors, se trouvaient en Espagne dans la région de Soria. Or, elles ne dépassent pas les 1,15m. Celles de Plagne proviennent de sauropodes (de gigantesques dinosaures herbivores), pesant 30 à 40 tonnes pour 25m de longueur. Puis, la taille du terrain. « Où qu’on tape, on trouve des empreintes », s’enthousiasme Jean-Michel Mazin. A l’aide d’images satellite, les deux scientifiques pensent qu’il y en a sur environ 10ha, ce qui en ferait le plus grand site au monde. Finalement, les traces découvertes formant une piste, la longueur de celle-ci risque aussi de battre tous les records. Jusqu’alors, la plus longue jamais découverte se trouvait sur le site de Galinha au Portugal, et s’étendait sur 142m. A Plagne, les chercheurs espèrent trouver des pistes de 200 à 300m de long.

« Ce n’est pas pour établir des records mondiaux », relativise Pierre Hantzpergue, « mais pour pouvoir multiplier les observations. » Plus la piste est longue, plus elle recèle des informations. Ainsi, la même équipe a découvert à Loulle, un autre site dans le Jura, une rangée d’empreintes qui tournent subitement quasiment en angle droit. « C’est étonnant pour des animaux de cette taille », commente le professeur. A Plagne, les scientifiques espèrent ainsi apprendre beaucoup sur la biomécanique des dinosaures, c’est à dire sur le fonctionnement de leur corps. « Il fallait les bouger, les 40 tonnes », plaisante Jean-Michel Mazin. Et on sait déjà qu’ils ne bougeaient pas vite. 3 km/h environ. Sur l’immensité du site, les chercheurs espèrent aussi trouver des traces d’autres espèces, comme des animaux de plus petite taille, voire des dinosaures carnivores de la famille des T-Rex.

Trois à quatre ans de fouilles

D’ici là, le chemin est encore long. Les fouilles vont durer entre trois et quatre ans, estiment les deux chercheurs. Car les traces sont recouvertes de 10 à 50 cm de terre et d’herbes, qu’il faut décaper. Ces travaux vont occuper une cinquantaine de personnes, pour l’essentiel des étudiants et bénévoles. Le gros des travaux se concentrera alors sur les vacances universitaires. Ensuite, il faudra 10 à 15 ans pour tout photographier, mouler et analyser.

Au premier rang de ces bénévoles, la Société des naturalistes d’Oyonnax (SDNO), une association de passionnées de science et de nature du coin, fondée en 1923. C’est par elle que tout est arrivé. Depuis douze ans, elle passe la région au peigne fin, à la recherche de ces gros reptiles disparus. « Ce n’était pas un hasard », martèle Marie-Hélène Marcaud, une enseignante à la retraite et membre de la SDNO. Le 5 avril dernier, elle se promène à Plagne avec Patrice Landry, géologue et président du club. « En me baladant, j’ai reconnu un bourrelet, qui n’était à première vue pas spécialement gros, mais qui ressemblait aux traces que j’avais vues à Loulle. » Armés de pioches, pelles, marteaux et balais, ils se mettent à retirer la terre et l’herbe qui recouvrent leur trouvaille. « Patrice était persuadé qu’il s’agissait de traces de dinosaure », se souvient cette passionnée. Deux jours plus tard, ils en ont font part à Jean-Michel Mazin et Pierre Hantzpergue, qui confirment leur impression.

Sous les tropiques

Les empreintes datent d’il y a 150 millions d’années. A cette époque-là, le Jura, loin d’être froid et montagneux, bordait une mer chaude sous un climat tropical. Il formait alors un littoral très plat et vaseux, fréquemment recouvert d’eau. Puis, l’eau se retirait et les empreintes laissées par les dinos de passage pouvait sécher. A nouveau sous l’eau pendant quelque 80 millions d’années, les empreintes durcies, étaient recouvertes de quelques centaines de mètres de sédiments, qui assuraient leur conservation. Finalement, les plaques tectoniques eurasienne et africaine entrent en collusion, et la terre s’élève pour former les Alpes. Nos empreintes se retrouvent alors subitement à 850m d’altitude. Puis, la glace et le vent vont se charger de raboter les couches de sédiments apposées par la mer, et ne laisser que les quelques dizaines de cm de terre qui les recouvrent aujourd’hui. « On a eu de la chance, l’érosion naturelle s’est arrêtée juste à temps », déclare Jean-Michel Mazin.

Bouleversement

De grands bouleversements attendent alors cette région peu habitée. En première ligne, le petite bourgade de Plagne (124 habitants). Son maire, Gustave Michel, ne réalise pas encore vraiment ce qui lui arrive. « Il n’y a pas de commerce ici, juste trois gîtes », soupire-t-il. Sa première préoccupation : construire un parking pour les visiteurs qui ne manqueront pas d’envahir le village. Pour ça, il a besoin du soutien financier du département et de la région. Le 24 octobre prochain, tous les élus concernés vont alors se réunir autour de Jean-Michel Mazin et Pierre Hantzpergue, pour que les deux scientifiques leur exposent leurs trouvailles. Car eux aussi ont besoin d’argent pour financer les fouilles. Entre 2006 et 2009, les travaux à Loulle avaient coûté 110 000 euros. Pour un site 20 fois moindre.

Le Progrès plus vite que son ombre

C’est en fin de semaine dernière, que le CNRS avait communiqué la découverte du site à la presse, en invitant les journalistes à une visite sur place le jeudi suivant. Cette information devait néanmoins rester secrète jusqu’au vendredi matin à 6h, date à laquelle elle devait être communiquée aux élus. Dans le jargon journalistique, on appelle cela une mise sous embargo, pratique courante et respectée par les journalistes. En principe en tout cas, car le Progrès, visiblement en manque de scoop, a décidé de rompre l’embargo et a publié l’information dès mardi. Au pire moment pour le CNRS. Tombée ainsi en pleine semaine d’annonces de prix Nobel, la découverte des empreintes, pourtant d’importance capitale, risquait alors de passer inaperçue. « Je suis très déçu », commente Jean-Michel Mazin ce manque de professionnalisme de la part du journal.

Publié le : vendredi 9 octobre 2009, par Michael Augustin