Turcos - le jasmin et la boue
Le déclic a eu lieu un 14 octobre. C’était en 2008. Ce jour-là, la Marseillaise avait été sifflée au stade de France, avant un match France-Tunisie. Le monde politique était en émoi et le gouvernement réclamait des punitions. A Lyon, Kamel Mouellef avait alors une pensée simple : « le drapeau que ces jeunes sifflent, est celui de leurs ancêtres. S’ils savaient les sacrifices qu’ont faits leurs grands-parents et arrière-grands-parents pour défendre la France, ils auraient sûrement plus de respect. »
Ces ancêtres-là sont ceux qui se sont battus pour la France, de la guerre de Crimée en 1854 à la deuxième guerre mondiale. Ainsi est née l’idée d’éditer une BD qui relaterait l’histoire des tirailleurs algériens entre 1914 et 1918. « Il n’y a rien là-dessus dans les manuels scolaires », s’indigne l’auteur, qui est également membre de l’association Déni de Mémoire. Pourquoi une BD ? « Parce que c’est un support ludique. Si j’avais écrit une encyclopédie, est-ce qu’ils l’auraient lue ? »
L’histoire qu’il s’apprête à raconter est celle de son propre arrière-grand-père Alouache Ahmed Saïd Ben Hadj, né en 1884 et mort sur le champ de bataille le 20 juillet 1918. Pour la découvrir, Kamel Mouellef a dû parcourir la France. Tout a commencé en mars 1983. « Mon arrière-grand-père m’est apparu dans un rêve, me demandant de retrouver sa sépulture pour qu’il puisse définitivement partir de ce monde. » Or, personne ne savait où elle se trouve. « Ma mère m’a dit qu’il était mort pour la France mais elle ne savait pas du tout où. »
Kamel Mouellef rend visite à son arrière-grand-mère, restée en Algérie. « Quand elle m’a montré une photo, j’ai compris que c’était vraiment de lui que j’avais rêvé. » Elle avait également conservé son livret militaire, malheureusement illisible car tâché de sang. De retour en France, Kamel Mouellef entame une longue recherche et ce n’est qu’en 2005 qu’il retrouve la trace de son arrière-grand-père grâce au site Internet Mémoire des hommes du ministère de la Défense.
En novembre de la même année, il se rend avec son épouse au cimetière militaire d’Ambleny, à 12 km de Soissons (Aisne), où Alouache Ahmed Saïd Ben Hadj est enterré aux côtés de son frère. « Ça m’a touché aux larmes », se souvient Kamel Mouellef. « A partir de ce moment là je me suis senti français et je ne comprenais pas pourquoi on me rappelais sans cesse mes origines. » Pendant 5 ans, il allait alors effectuer un « tour de France », à la recherche des traces de la mémoire des tirailleurs africains. 6 pages de la BD sont consacrées aux photos de stèles, cartes postales et photo anciennes.
Kamel Mouellef s’attache alors à constituer l’équipe pour écrire le livre. Au salon BDécines, en 2010, il fait la rencontre du dessinateur Batist Payen et du scénariste Tarek, déjà auteur de la série Sir Arthur Benton sur la deuxième guerre mondiale. Manque plus qu’un éditeur. Plusieurs portes se lui ferment au nez. « Un truc d’immigré », « trop polémique », « communautaire », lui répond-on. Finalement il sonne chez Tarta Mudo, un petit éditeur parisien. « Engagé », selon Kamel Mouellef, mais pas assez riche pour préfinancer le projet.
Infatigable, l’auteur frappe alors aux portes des politiques. Gérard Collomb lui pré-achète 300 exemplaires, la Région 280. Michel Havard le subventionne, le vice-président du Grand Lyon Roland Bernard aussi. En janvier 2010, l’équipe se met à l’œuvre. la BD s’intitulera Turcos en hommage au surnom qu’ont donné les Russes aux tirailleurs nord-africains, qu’ils confondaient avec les Turcs.
Dans les rayons depuis le 25 octobre, la BD raconte l’histoire de Slimane et de son meilleur amis Alouache, enrôlés dès le début de la guerre dans la 11ème régiment de tirailleurs de Constantine. Dans leur unité, il y a également Zemmour, une « mauviette », au dire de ses camarades. Une pique contre le journaliste Eric Zemmour que Kamel Mouellef n’apprécie guère. « Je n’aime pas sa façon de traiter tous les noirs et arabes de dealers et délinquants. » Zemmour meurt quelque pages plus loin, lors d’un assaut des Allemands. « Il n’était pas mauvais dans le fond. Son problème c’est qu’il avait honte d’être berbère comme nous », commente un camarade d’armes. Histoire de rappeler au journaliste ses origines. Kamel Mouellef a envoyé un exemplaire de la BD à Laurent Ruquier « pour faire un peu de buzz. »
Il a aussi contacté Zinedine Zidane pour lui proposer une soirée dédicace. Avec comme leitmotiv, cette envie de populariser l’histoire auprès des jeunes. Et ça semble marcher. « Ils me contactent même par Internet pour me dire que j’avais oublié de parler de tel ou tel régiment », se félicite l’auteur. Ou pour lui dire simplement : « on ne savait pas pour le drapeau. On aura désormais un peu plus de respect. »
Info : Turcos - le jasmin et la boue, 65 pages, 14 euros, à la Fnac, dans les espaces culturels Leclerc, dans certaines librairies spécialisées et sur Internet. Kamel Mouellef sera en dédicace au salon la Bulle d’or à Brignais les 12 et 13 novembre.
Publié le : vendredi 11 novembre 2011, par