Tribunal correctionnel

Le procès de l’« autoréduction » s’est autodissout

« 2007, c’est presque l’archéologie judiciaire. » Le président du tribunal correctionnel de Lyon lève les yeux au ciel. Devant lui, cinq jeunes gens. Quatre anciens étudiants de Lyon 2 et un ex-journaliste de Radio Canut, soupçonnés d’avoir pillé un supermarché un soir de grève. Ils comparaissent pour vol en réunion avec violence. Deux heures plus tard, ils repartent avec les excuses du président, au nom de l’institution. Récit d’une audience épique.

Le 28 novembre, en plein mouvement de protestation contre la controversée loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU), le campus de Bron est occupé. Pour ravitailler les grévistes, plusieurs dizaines d’étudiants (entre 40 et 100 selon les témoignages) investissent vers 18h45 le magasin Leader Price de Bron. Mégaphone à la main, ils proclament une opération « autoréduction ». « Servez-vous, tout est gratuit ! », décrète le mégaphone, tandis que les autres remplissent les caddies. Combien de caddies ? Deux, trois, cinq, les témoignages divergent.

D’autres remplissent des sacs à dos. Des légumes, des viennoiseries, du foie gras et des bouteilles d’alcool, mais aussi du chocolat et des bonbons, se rappelle un magasinier. Le directeur et le vigile tentent bien de s’interposer mais ils ne font pas le poids. Les étudiants repartent avec leur butin et rejoignent leurs copains sur le campus.

Alertée par le directeur du magasin, la police arrive en force. Des dizaines de CRS et gendarmes, appuyés par un hélicoptère, selon les étudiants. « C’était impressionnant », se rappelle l’un des prévenus. Les forces de l’ordre investissent l’amphithéâtre. « Du jamais vu », s’étrangle Me Olivier Forray, l’un des avocats. Les policiers font sortir les 77 étudiants un par un pour identification.

En pleine nuit, à l’extérieur, « dans la lumière blafarde du projecteur d’une voiture de police », selon les termes de Me Forray, le directeur du Leader Price devra identifier ceux qui ont dévalisé son magasin. Il dit reconnaître « formellement » 13 d’entre eux. Après 48 heures de garde à vue, quelques mois de contrôle judiciaire et 4 ans de procédure, 8 étudiants ont été mis hors cause.

Ce lundi 26 mars, ils ne sont alors plus que 5 à comparaître devant le tribunal correctionnel. Pierre-Antoine, Boris, Olivier, Johan et Yannis. Ils jurent tous la main sur le cœur qu’ils n’y étaient pas, ou s’ils y étaient ils sont partis avant que cela ne dégénère. Le journaliste y était, mais pour faire des interviews qu’il a malencontreusement effacées, Pierre-Antoine et Boris ont été vus en même temps à d’autres endroits. Des alibis vérifiés 6 mois plus tard.

Si les explications ne volent pas très haut, le dossier d’instruction, lui, rase les pâquerettes. Témoignages vagues, instruction bâclée, absence de confrontation, auditions prises dans la précipitation, éléments insuffisants, pas de constitution de partie civile… ce n’est pas la défense qui parle mais le procureur. Il suggère 4 relaxes et une condamnation symbolique, avec dispense de peine et sans inscription au casier judiciaire.

La défense n’a alors plus grand-chose à faire et le juge prononcera 5 relaxes, assorties d’excuses « au nom de l’institution », avant de souhaiter aux prévenus « la pleine réussite dans vos projets professionnels et personnels. »

Pourquoi fallait-il 4 ans pour en arriver là ? « Le service public de la justice est dans un état déplorable en France », répond Me Bertrand Sayn, l’autre avocat des accusés.

Publié le : lundi 26 mars 2012, par Michael Augustin