Pas de place au 115

Mehdi, 48 ans, en fauteuil et à la rue

Sorti il y a trois semaines d’une maison de repos, après deux lourdes interventions chirurgicales, Mehdi* se demande tous les matins où il va passer la nuit. La faute à un système d’accueil d’urgence surchargé et rigide.

Sur un bout de pelouse devant l’hôtel Ibis, face à l’incinérateur de Gerland, Mehdi compose le 115 sur son portable. Cette fois-ci, la standardiste a une bonne nouvelle pour lui. Elle peut lui proposer une place pour passer la nuit. Il retourne à la halte de nuit l’Escale (Lyon 7ème). C’est là qu’il avait été accueilli quelques jours plus tôt, lorsqu’il est sorti du Centre de convalescence de Saint Genis-Laval. Opéré d’une hernie discale à l’hôpital de la Croix-Rousse en mars, il y a passé six mois. De l’opération, il porte encore de lourdes séquelles. Comme il n’a pas récupéré l’usage de sa jambe gauche, il ne se déplace qu’en fauteuil.

La halte de nuit l’Escale est l’un des sept centres d’hébergement d’urgence gérés par le Foyer Notre-Dame des sans-abris. Ouvert de 16h à 10h, il offre 57 places pour des sans-domicile-fixe comme Mehdi. Mais dès le lendemain matin, Mehdi se retrouve de nouveau à la rue. C’est la règle. Le 115 n’accepte d’héberger les SDF qu’une nuit toutes les quatre nuits. « Ils m’ont dit qu’ils étaient bien conscients de ma situation mais que je ne pouvais pas rester parce que c’était pour tout le monde pareil », affirme Mehdi.

Un système fait pour les valides

Au 115, on confirme la règle des une nuit sur quatre. Faute de places suffisantes, il faut assurer la rotation des demandeurs. Le seul moyen d’obtenir un hébergement stable est le dépôt d’une demande d’hébergement à la Maison de la veille sociale (Lyon 3ème). Celle de Mehdi a bien été enregistrée comme prioritaire, mais comme beaucoup d’autres avant lui. Ici aussi, les places manquent et les délais sont longs : 12 mois d’attente en moyenne. « Que tu sois handicapé ou valide, tu es logé à la même enseigne », s’insurge un professionnel de l’accueil d’urgence. « Ce système est fait pour des jeunes hommes valides, mais pas pour des handicapés ».

L’état de santé de Mehdi ne lui permet pas d’attendre. Il est sorti du centre de convalescence avec une ordonnance de six mois de kiné, à raison d’une séance par jour. « C’est le seul moyen pour moi de remarcher », affirme cet Algérien de 48 ans, originaire d’un village près d’Oran. Sans point de chute fixe, impossible de se rendre tous les jours chez un kiné, quand on se déplace en fauteuil.

Son dos lui fait mal, dit-il. Tout comme sa cicatrice au ventre, souvenir d’une autre opération qu’il a subie il y a six ans, des intestins. On lui a inséré une plaque derrière la paroi abdominale. « Assis comme ça toute la journée dans le fauteuil, je ne guéris pas », affirme-t-il. Alors, quand il a trop mal, il se couche sur la pelouse devant l’hôtel Ibis. Quant aux nombreux médicaments qu’il doit prendre, il dit avoir caché le sac dans les buissons, pas loin de la halte de nuit.

« J’ai besoin d’une situation stable pour pouvoir commencer ma rééducation », clame Mehdi. Mais aussi pour régulariser sa situation à la préfecture. En attendant, il dort à gauche à droite. Parfois, quelqu’un le prend en pitié et lui offre un canapé pour quelques heures de la nuit. Parfois quelques euros récoltés grâce au bouche à oreille lui permettent de se payer une nuit dans un hôtel miteux de la place du pont. Toujours rien de stable. Alors que l’hiver arrive.
*Prénom d’emprunt

Publié le : lundi 6 septembre 2021, par Michael Augustin