Candidature aux JO d’hiver

Annecy 2018 a un président mais peu d’avenir

Ce lundi, 2 étapes importantes ont été franchies sur le chemin qui doit mener la France vers l’organisation des Jeux Olympiques d’hiver 2018. En fin de matinée, Jean-Luc Rigaut, maire d’Annecy et Denis Masseglia, président du Comité national olympique et sportif français (CNOSF), ont déposé le dossier de candidature au siège de l’organisation olympique à Lausanne. Puis l’après-midi, l’homme d’affaires Charles Beigbeder a été nommé à la tête du Groupement d’Intérêt Public (GIP) Annecy 2018, chargé de porter la candidature jusqu’au vote final le 6 juillet prochain à Durban (Afrique du sud). 2 actes censés sauver le dossier du naufrage annoncé. Car, partie sur les chapeaux de roues, la candidature d’Annecy n’a pas tardé à sombrer dans une lente agonie. Retour sur 22 mois de cafouillages.

Le 18 mars 2009, Annecy s’impose haut la main contre ses concurrentes Nice, Grenoble, et Pelvoux (Alpes du Sud) pour porter les couleurs françaises dans la course à l’organisation des JO d’hiver 2018. Un seul tour suffit pour rallier 22 des 42 délégués à la cause annécienne. Le dossier a l’air costaud. Selon les organisateurs, 80 % des infrastructures existent, et le réseau de transports est déjà performant. Le projet est défendu par des sportifs de premier plan : Antoine Dénériaz, Edgar Grospiron, Sandrine Bailly, Vincent Vittoz, Aimé Jacquet, mais aussi par des personnalités comme le chef cuisinier Marc Veyrat, le PdG de Danone Franck Riboud et le photographe Yann Arthus-Bertrand. En janvier 2010, conformément au souhait de Nicolas Sarkozy de voir la candidature portée par un sportif charismatique, Edgar Grospiron est nommé directeur général de la candidature. Champion olympique de bosses en 1992, il connaît bien la région puisque sa famille s’est installée à Annecy en 1978.

La lune de miel ne durera pas. Le 22 juin dernier, la commission exécutive du CIO décide sans surprise de n’écarter aucune des 3 villes candidates, Munich (Allemagne), Pyeongchang (Corée du sud) et donc Annecy. Mais en même temps, elle prononce une appréciation humiliante sur le dossier français, estimant qu’il « comporte un certain nombre de défis de taille et un risque plus important ». Le groupe de travail, qui a passé en revue les 3 dossiers, écrit : « le projet d’Annecy présente un concept des jeux Olympiques très dispersé, avec dix sites indépendants et plusieurs lieux d’hébergement des athlètes ». Munich et Pyeongchang, elles, passent le test haut la main. En quelques semaines, la candidature d’Annecy doit être complètement revue. Un nouveau projet est présenté début octobre, resserré autour des villes Annecy et Chamonix.

Mais une autre faiblesse du dossier français éclate au grand jour : le manque de moyens. Dotée de seulement 18 millions d’euros, Annecy 2018 fait pâle figure à côté de Pyeongchang et ses 31,5 millions de dollars (24,4 millions d’euros) et surtout Munich (30 millions d’euros). Surtout le budget de communication paraît famélique (3 à 4 fois moins que la concurrence). Une faiblesse qui n’a pas joué en la faveur d’Annecy à Vancouver où les Allemands et les Sud-Coréens avaient mis les petits plats dans les grands pour séduire les délégués olympiques. Cité par Le Parisien, Ottavio Cinquanta, membre italien du CIO, avait alors traduit le sentiment général : « Annecy ? Je suis peut-être un peu sourd, mais ils doivent se présenter avec un enthousiasme un peu plus évident. »

Edgar Grospiron demande alors des moyens supplémentaires pour assurer le lobbying auprès des membres du CIO. En déplacement en Afrique du Sud, il explique au journal Le Monde : « Nous sommes 3 pour Annecy. En face de nous, ils sont 20, 30. Ils se divisent par groupes de 5 pour inviter les membres à déjeuner. Nous, à 3, on ne peut inviter qu’1 membre quand 8 ou 10 sont pris en charge par les équipes adverses... » Il demande 12 millions d’euros de plus, pour faire jeu égal avec le poids lourd Munich.

Le doute s’installe. De l’aveu même de Grospiron les chances de remporter sont désormais « minces ». Le 5 décembre, L’Equipe titre de façon éloquente « Killy et Drut lâchent Annecy 2018 ». Le quotidien sportif publie une interview dans laquelle les 2 seuls membres français du CIO Jean-Claude Killy et Guy Drut ne mâchent pas leurs mots. Le premier estime que « les membres du comité haut-savoyard ne se rendent pas compte de ce qu’est une candidature. Nous allons à notre perte. » Annecy 2018 « va dans le mur », conclut le second. Aussitôt Edgar Grospiron dément toute mésentente avec les 2 ex-champions olympiques : « Je les ai eus au téléphone, ils ne me lâchent pas ». A peine 1 semaine plus tard, le 12 décembre, c’est Edgar Grospiron qui jette l’éponge. « Je ne peux pas faire gagner la candidature avec ce budget et le temps qu’il me reste », explique-t-il alors pour justifier sa démission. En effet, sur le 12 millions de rallonge qu’il a demandés, il n’avait obtenu que 2.

S’engage alors un branle-bas de combat pour lui trouver un successeur. Jean-Louis Borloo décline l’offre, officiellement par manque de temps. Puis, le président divers-droite du conseil général Christian Monteil sort de son chapeau Charles Beigbeder. L’homme d’affaires de 46 ans inquiète par son inexpérience, sa méconnaissance du dossier et du milieu olympique. Il en faut plus pour décourager ce serial créateur d’entreprises (il en a fondé 5, dont le fournisseur alternatif d’électricité alternatif Poweo). « Comme tout le monde, j’avais une perception un peu négative du dossier mais le dossier est étonnamment exceptionnel », s’enthousiasme-t-il au micro d’Europe 1. Et puis, si la candidature d’Annecy a moins d’argent c’est tout simplement parce qu’elle est meilleure. Mais beaucoup se demandent comment quelqu’un, qui avoue ne s’intéresser au dossier que depuis « une bonne semaine », pourra sortir la candidature d’Annecy du trou.

L’homme est soutenu par l’Elysée et la ministre des Sports Chantal Jouanno mais suscite l’ire du président du Conseil régional Jean-Jack Queyranne. « Pourquoi ne pas faire appel à un animateur TV tant qu’on y est ? », s’étrangle-t-il. Et de conclure : « Nous allons tout schuss dans le mur. » Le monde sportif reste également sceptique, à l’image de Denis Masseglia, président du CNOSF, qui a d’ores et déjà annoncé qu’il « exigera des garanties quant à la stratégie et au projet ».

Pour les Verts, partenaires de la majorité régionale, la coupe est désormais pleine. Selon eux, la nomination de Beigbeder signifie « sport-business et aménagement massif de la montagne. Face à cela, les élus écologistes demandent à Jean-Jack Queyranne de retirer la participation de la Région. » Une éventualité que n’exclue pas le président de région.

Publié le : lundi 10 janvier 2011, par Michael Augustin