Je m’appelle Fanny et le 2 septembre prochain, aux côtés de Pierre, je passe en procès pour vol en réunion. Pourquoi ? Parce que le 21 février dernier, j’ai décroché le portrait d’Emmanuel Macron de la mairie du 2ème arrondissement de Lyon afin de dénoncer l’inaction climatique de notre Président. Pour moi, c’est une réquisition citoyenne, pour le procureur c’est un vol. Pour moi, c’est notre président et son gouvernement qui devraient répondre de leurs actes devant la justice. Pour le procureur, c’est moi qui dois être poursuivie. Entre la vision de l’État et la mienne, il y a un monde. Entre les beaux discours de notre Président et ses actes, un gouffre.
J’éprouve aujourd’hui le besoin de vous raconter ce qui m’a amenée à cette situation, à cette journée du 26 février, où j’ai passé le jour de mes 35 ans en garde à vue, où mon domicile a été perquisitionné, où j’ai reçu cette fameuse convocation pour un procès.
J’ai grandi assez révoltée par l’injustice de la situation environnementale de notre planète. Comme une boule au ventre qui ne voulait pas s’en aller. Mais le reste du temps, j’ai été une enfant normale, l’école, les copains, la famille, les vacances, etc. Au début de ma vie d’adulte, j’ai un peu oublié ce malaise intérieur, ou plutôt je l’ai refoulé, me sentant impuissante. J’ai fait des études en lien avec l’environnement mais dans ma vie quotidienne, j’ai fermé les yeux... pour éviter d’y penser.
Et puis, une rencontre, autour de mes 28 ans, m’a fait comprendre que oui, en tant que citoyenne, j’avais les moyens d’agir, que je n’étais pas obligée de rester la rage au ventre à regarder le désastre se produire. J’ai réalisé qu’agir, c’est commencer par comprendre, prendre conscience de la réalité des choses et arrêter de fermer les yeux. J’ai compris que ma rage pouvait servir et être un moteur pour changer les choses. J’ai donc commencé à militer au sein de Greenpeace pendant plusieurs années. J’ai changé pas mal de choses dans ma vie au fil de mes prises de conscience.
Je me suis rendue compte que mes nièces allaient vivre un enfer sur Terre
Et petit à petit, en croisant le chemin d’Alternatiba et plus tard d’ANV-COP21, j’ai réalisé l’ampleur du problème climatique : nous sommes, nous humains vivant actuellement sur cette planète, la dernière génération à pouvoir agir et cette bataille ne se joue qu’une fois. Plus tard, ce sera trop tard. J’ai compris l’injustice suprême du dérèglement climatique : les populations les plus pauvres et les moins responsables du problème seront les plus impactées.
Je me suis rendue compte que mes nièces, Zoé, 4 ans et demi, et Maëva, 1 an et demi allaient vivre un enfer sur Terre : catastrophes climatiques extrêmes, disparition de milliers d’espèces animales et végétales, montée des océans, migrations forcées de millions de personnes, pénuries d’eau et de nourriture, voilà de quoi sera fait leur quotidien si rien ne change.
J’ai alors trouvé avec Alternatiba et ANVCOP21 les méthodes et la panoplie de modes d’actions qui me semblaient indispensables pour faire face à cette crise climatique. Au sein de ce mouvement, ces dernières années, nous avons mené tous ensemble une multitude de batailles pour le climat. Nous avons mis en valeur les solutions et alternatives pour faire face au changement climatique, qui existent déjà partout et que chacun peut prendre en main ; nous avons fait du plaidoyer auprès des élus locaux pour que leurs politiques locales soient plus ambitieuses en matière de climat ; nous avons gonflé les rangs des marches et manifestations pour le climat ; et puis nous avons désobéi.
La désobéissance civile pour résister aux politiques qui mettent en danger l’avenir de l’humanité
Parce que la désobéissance civile non-violente est un moyen puissant et efficace pour nous opposer et résister aux projets, aux politiques et aux entreprises qui mettent en danger l’avenir de l’humanité.
Alors le 15 février dernier, lorsqu’en réponse à l’Affaire du Siècle, ce recours en justice contre l’Etat pour inaction climatique porté par 4 organisations et soutenu par plus de 2 millions de personnes, le gouvernement a annoncé qu’il ne comptait pas changer de cap, que ce qu’il fait aujourd’hui en matière de politique climat est tout à fait satisfaisant et suffisant, nous avons décidé de désobéir. De décrocher le portrait d’Emmanuel Macron des mairies françaises pour dénoncer son inaction climatique et adresser un message à la population française : malgré les beaux discours de notre Président sur le climat, sa politique est en réalité aussi vide que l’espace que nous avons laissé à la place de son portrait dans 106 mairies.
Aujourd’hui nous sommes 40 à être poursuivis pour des décrochages de portrait dans 13 procès. 124 personnes auditionnées. 61 perquisitions. Plus de 650 heures cumulées de garde à vue. [Ces chiffres ont évolué depuis : on compte aujourd’hui 128 portraits décrochés et 57 activistes convoqués dans 17 procès, ndlr]. Toutes ces personnes étaient prêtes à prendre ce risque. Elles assument avoir participé à ces décrochages de portraits et sont prêtes à affronter la répression et à se présenter devant la justice. Mais ce qu’elles n’acceptent pas, c’est que parallèlement, les responsables du changement climatique courent toujours, ceux qui nous emmènent vers le chaos climatique ne sont nullement inquiétés.
Je veux pouvoir dire à mes nièces qu’avec mes petits moyens, je me suis battue pour elles
Alors oui, je sacrifie une partie de ma liberté en risquant une amende, voire une peine de prison et je continuerai à le faire car je gagne une autre liberté, celle de pouvoir me regarder dans la glace, de pouvoir dire à mes nièces en les regardant dans les yeux, quand elle me demanderont des comptes, qu’avec mes petits moyens, je me suis battue pour elles, leur génération et celles à venir. Liberté que n’ont certainement pas les puissants de ce monde. Liberté qu’ils ne pourront jamais acheter. Le 2 septembre, je serai jugée et peut-être condamnée... pour un portrait.