Lyon-info : Diplômé de la FEMIS, l’une des plus grandes écoles de cinéma en France, vous avez été intrigué par cette phrase inscrite sur l’un de ses murs : Ici, on apprend à faire des films qui se voient avec nos oreilles et s’entendent avec nos yeux.
Nader T. Homayoun : Effectivement. Cette devise a énormément affecté l’esthétique de mes films. En entrant dans cette école, qui représentait pour moi le sésame, j’ai découvert qu’elle avait des critères esthétiques à l’opposée du cinéma hollywoodien et grand public. On y apprend à faire des films plus intimes et personnels.
Ma scolarité m’a été extrêmement révélatrice sur le cinéma que je souhaite développer. Cette pédagogie m’a entraîné à porter une attention particulière à une image et à un son juste. La belle image et la belle photographie ne m’intéressent pas, je veux capter une image tellement puissante qu’on puisse l’entendre.
LI : Vos films parlent de l’Iran, vous êtes franco-iranien, de quel cinéma vous sentez-vous le plus proche ?
NTH : En Europe, on veut souvent me cataloguer dans la catégorie des cinéastes iraniens, peut être parce qu’il y a le mythe du cinéaste iranien qui fait du cinéma réaliste sur la situation sociale de son pays et qu’en plus le nombre de réalisateurs Iraniens est très restreint.
Je ne souhaite vraiment pas être cantonné à un pays en particulier car, profitant de ma double culture, j’ai toujours essayé de faire un mélange entre les deux dans mes films. Par exemple, dans mon dernier film Téhéran, il y a une forte inspiration européenne.
LI : Comment avez-vous tourné Téhéran ?
NTH : Tout d’abord, je n’ai pas cherché de subventions publiques car mon film est en majorité en langue persane ce qui était pour moi essentiel. Quelques sources de subventions tolèrent certes que le français ne soit pas la langue majoritaire du film mais j’ai préféré ne pas courir après. A mes côtés lorsque j’ai lancé le projet, il n’y avait donc ni subvention ni société de production. A cette occasion, j’ai donc créé ma propre boite de production Alias Films. Par la suite, Avenue B Productions nous a suivi dans l’aventure.
Je travaillais avec une équipe technique réduite de 5 à 6 personnes. Il m’était même arrivé d’aider le technicien du son par exemple. Dans ma manière de diriger mon équipe, ce que j’ai appris à la FEMIS m’a été capital car je pouvais maîtriser complètement tous les corps du métier. Les conditions de tournages étaient donc très loin de ce qui peut être fait habituellement sur les longs métrages. Nous avions tournés en 18 jours avec plus de 7 séquences par jour. Dans la réflexion sur la fabrication de l’image, j’étais obligé de pratiquer une gymnastique d’adaptation parce qu’on n’est pas toujours sûr des moyens qu’on aura le jour J sur le tournage.
C’est la même chose pour le scénario. J’avais un scénario flottant qui me permettait de tout changer et de l’adapter, car les conditions de tournage ne permettent pas la rigueur d’un scénario intangible.
Au début, je ne voulais pas montrer le scénario à mes acteurs. J’étais tout de même contraint de leur donner une sorte de séquencier, car en Iran il peut s’avérer problématique pour un acteur de prêter son image à certains films. Les dialogues ont ensuite été développés en fonction des acteurs que j’avais choisis.
LI : Et vous n’avez pas rencontré de difficulté pour ce film avec le régime Iranien ?
NTH : Absolument pas. Le scénario ne posait aucun problème. Par contre, le sens de l’image, porteur de message, peut déranger et j’en étais conscient lors de l’écriture. La pauvreté est décuplée lorsqu’elle est portée sur grand écran. Et c’est tout un travail sur le réel que j’ai entrepris. Grâce à ma recherche de l’image juste, les images prennent une force incroyable.
LI : Vous êtes actuellement dans la région lyonnaise pour le festival Festimaj. Qu’est-ce qui vous a poussé à accepter la présidence de son jury ?
NTH : Essentiellement le fait que c’est un festival de films d’école. Je voulais, à travers les films présentés, être dans la tête d’un jeune. Aujourd’hui, les moyens techniques permettent aux plus petits de faire des films, à mon époque je ne le pouvais pas. On ne sait jamais comment le monde est vu par un enfant de 12 ans et ce festival me permet d’accéder à cette quête du regard de l’enfant. De plus, les films d’écoles sont plus audacieux, ils prennent plus de risques que ne le ferait une production professionnelle. Ils correspondent donc pour nous, les cinéastes à un laboratoire intéressant.
LI : Quels sont vos projets ?
NTH : Deux films sont en cours d’écriture. Un film iranien et un film français. Le film français ne sera pas un film iranien en France contrairement à ce que fait Abbas Kiarostami, mais plutôt un film avec les mêmes influences que j’évoquais plus haut et une histoire foncièrement française. Outre ma volonté de m’inspirer de ma double culture dans mes films, je souhaite avant tout essayer de trouver le juste milieu entre un film personnel et un film grand public.