« Ce sont de très beaux objets. C’est magique. Toutes les femmes en rêvent », commente une visiteuse d’une cinquantaine d’années, au détour d’une vitrine de jolis poudriers en écaille de tortue. Toutes les femmes ? Ça se discute. Mais une chose est sure, l’exposition Le Teint entre en scène mise sur le rêve qu’inspirent les élites féminines. Plus de 200 pièces d’histoire tissent cette exposition unique en France. Huit collections privées ont été associées, dont de célèbres maisons comme Guerlain, Dorin ou le parfumeur lyonnais Givaudan. Mais que nous racontent ces artifices féminins ?
Paraître, avoir, en être
La cour du XVIIIe est un véritable théâtre d’exhibition où l’on ne sort pas sans maquillage, parfum, ni accessoires. Et pas des moindres. Boites à mouche en nacre ou en ivoire, flacon de parfum en cristal, nécessaire de poche en or à décor de colombes et de putti (bébé ou petit ange joufflu)... Le beau n’a d’intérêt pour les dames de cour qu’exprimé dans des matériaux précieux. « Dans ces classes, le raffinement est dans tous les objets. L’apparence est très importante. L’objet est un bijou », explique Anne Camilli, commissaire de l’exposition. L’exposition Le Teint entre en scène se présente comme un zoom sur la beauté de ces dames.
Au-delà de l’esthétique, ces objets luxueux forment la parure de chacune, symbole de séduction autant que de richesse. « Ce sont des objets de rêves. Ce sont aussi des objets que ces femmes utilisaient pour exprimer la supériorité de leur classe », explique Anne Camilli. Dans ce cercle très fermé aux comportements très codifiés, le goût marque la distinction. La créativité et l’excellence des artisans du Siècle des lumières expriment donc autant le bon goût que la vanité de l’aristocratie de cour. Car il ne suffit pas d’être une aristocrate, il faut surtout en avoir l’air.
Vers la distinction pour toutes ou presque
Après les riches raretés de la noblesse du XVIIIe, l’exposition s’ouvre sur les siècles suivants. Place aux objets plus populaires de la beauté : le premier bâton de rouge à lèvres signé Guerlain en 1840 ; la première poudre compacte de Bourjois en 1895 ou encore la pionnière des crèmes de soin, la toute lyonnaise crème Simon en 1860. Progressivement - avec la révolution industrielle - de nouvelles classes sociales accèdent à ces produits de beauté émergeant, et le modèle féminin qu’ils véhiculent. « Au XIXe, les femmes se maquillent peu, mais soignent leur teint. Ce sont surtout les femmes du spectacle et de petite vie qui se maquillent. C’est petit à petit que le maquillage va gagner la rue », indique la commissaire. Et le mouvement d’émancipation de la femme n’est pas pour rien dans ces évolutions esthétiques.
Une dernière salle met en lumière les parures de luxe du XXe siècle, à l’image des minaudières (petits sacs-bijoux) ou des poudriers d’inspiration art déco. Les vitrines accueillent notamment un rare étui multifonction en bronze signé Dali. Au XXe siècle, les artisans du luxe s’appellent Dior, Boucheron et Hermès. Leurs cibles s’élargissent, notamment grâce à la cosmétique. Ces griffes de luxe déclinent désormais leurs marques en articles de consommation de masse portés par des égéries célèbres, princesses d’aujourd’hui. « L’industrie de la beauté vend du rêve », rappelle Anne Camilli. Et des rêves qui vendent. « A l’époque, les produits Boucheron restaient destinés à une élite. Aujourd’hui ça s’est démocratisé », se réjouit la Commissaire d’exposition. Et de conclure : « Si on ne peut pas s’acheter une robe Chanel, on peut s’offrir un rouge à lèvres de la marque. La cosmétique est une porte d’entrée à ces marques de luxe ».
Jadis, pour être parmi les plus belles et les plus élégantes, il fallait être riche et le montrer. Aujourd’hui, un crédit à la consommation suffit pour accéder à ce que la cosmétique de luxe vend de rêve. Les mœurs de l’aristocratie du XVIIIe ne semblent finalement pas si éloignées de nous. Cependant, rendre populaire le rêve de luxe crée-t-il un sentiment d’égalité entre les femmes ou une uniformisation des rêves ? Mais surtout, porter du Chanel n°5 nous transforme-t-il en Marilyn ? Et si certains articles de cette industrie sont – relativement – accessibles, est-il vraiment donné à tout le monde d’être une princesse ? Pas sûr. Mais on peut toujours rêver.
Info : Le Teint entre en scène, jusqu’au 24 mars, Musée Gadagne. Rens. : www.gadagne.musees.lyon.fr