Si l’arrière-train d’un canidé est étrangement encastré dans un élément du décor, c’est qu’il y a de l’absurde dans ce texte écrit par deux auteurs contemporains, Eric Arlix et Jean-Charles Massera. L’absurde : voilà la réalité quotidienne des démocrates. Celle d’un homme et une femme unidimensionnels habitant une société où l’esprit critique n’a plus droit de cité.
Oui le démocrate veut sauver la planète, même s’il aime le nucléaire. Oui le démocrate est « hyper content d’avoir accès à toute l’info grâce à internet, même s’il n’a pas le temps de la lire ». Oui le démocrate « aime sa life » même si « le soir il se retrouve tout seul comme un con avec ses 300 chaînes de télé ».
Lise Chevalier et Steven Fafournoux restituent avec énergie les tendances hystériques de ces archétypes au bord du « nervous breakdown ». Mais pas de panique, un professionnel du coaching – le démocratiseur – est là pour éclairer les contradictions, et conseiller les démocrates pour être au plus performant à chaque instant.
Le démocrate vit dans une démocratie ordinaire comme un automate programmé par le marché. Un démocrate-automate, toute l’ironie du spectacle est là. A la pause-repas, au supermarché, dans les soirées entre amis, dans sa partenaire, sur son téléphone portable, sur les réseaux sociaux... On y est, parce que c’est « la life ». Même si « on se fait chier grave ». Heureusement, il y a le karaoké, les vacances à Agadir ou la téléréalité pour s’oublier un peu. Poupées envoûtées par le système économico-médiatique, les démocrates sont les jouets de volontés qu’ils ne maîtrisent pas. Celle, notamment, des traders, golden boy à la vie en toc.
Il y a dans ce récit fragmenté un écho à l’allégorie de la caverne de Platon. Les mises en garde du philosophe grec contre les apparences et les croyances n’ont pas pris une ride. En effet, à quoi ressemble un prisonnier de la caverne ? A un démocrate ! Ici les ombres de la caverne sont formées par l’imaginaire du capitalisme marchand. Et celui-ci a infiltré toutes les dimensions – ou presque – de l’existence de ce consommateur-citoyen.
Le démocrate y choisit ses mots, ses attitudes, ses apparences, son identité, sa misère culturelle et bien sûr ses désirs. Alors la question est légitime : est-on vraiment libre lorsque la vie n’a d’autre sens qu’être conforme aux rêves des professionnels du marketing ?
Derrière le confort matériel moderne, les apparences surfaites et les relations sociales superficielles, se dessine le paradoxe de la démocratie du spectacle : comment devenir un citoyen responsable lorsque notre esprit est noyé dans un imaginaire étriqué et vide de sens ? Quel avenir pour une société où chacun ne se soucie que de jouissance individuelle alors que « le monde est en train de partir en sucette » ? Le Guide du démocrate n’apporte pas de solution. Mais invoque l’esprit critique et l’imagination comme arme pour ne pas devenir le bon toutou qui aura suivi son maître... droit dans le mur.
Info : Le Guide du Démocrate. Les clefs pour gérer une vie sans projet, jusqu’au 6 décembre, Théâtre des Ateliers, 5 rue du Petit David, Lyon 2ème. Tarifs : 10€/14€/20€ - Rens. : 04 78 37 46 30