Construit au 19e siècle, ce bâtiment emblématique du Vieux Lyon n’avait jamais été rénové. « Tout était un peu pourri », se souvient Michel Mercier, l’ancien président du conseil général. « Le chauffage, l’électricité, tout était à reprendre. »
Des travaux importants que l’État, copropriétaire avec le conseil général, rechignait à engager. « Au cours de la période 1985-1990, l’abandon de ce palais fut sérieusement envisagé », rappelle Jean Trotel, premier président de la cours d’appel de Lyon. Car à la même époque, la construction du nouveau palais de justice de la rue Servient (Lyon 3ème) était déjà à l’étude. Dans l’esprit de ses promoteurs, il devait pur et simplement remplacer l’ancien.
C’était sans compter l’attachement des Lyonnais à leur patrimoine. « Pour construire son avenir, une ville a besoin de mettre en valeur et de magnifier son histoire », insiste Gérard Collomb. Une pétition recueille en 1993 plus de 3000 signatures, un chiffre important à une époque où ce genre d’appel était encore passé de main en main au lieu de circuler sur Internet. « L’un et l’autre bâtiments étant aujourd’hui pleinement occupés, on peut se demander comment le regroupement de toutes les juridictions sur le site de la Part-Dieu eût été possible », glisse le procureur général Jacques Beaume. La forte mobilisation a réussi à faire changer d’avis la chancellerie, qui engage alors dès avril 2005 les études préliminaires à la rénovation du bâtiment.
1000 ans d’histoire judicaire
C’est que le site est chargé d’histoire. « On rend ici la justice depuis plus de 1000 ans », s’enflamme Michel Mercier. Précisément depuis le 10e siècle. D’abord dans une maison forte, puis dans un bâtiment aux tours crénelées, appelé palais de Roanne, en souvenir de ses anciens propriétaires, les comtes de Forez.
Pendant trois siècles, ce bâtiment accueillit le Sénéchal, représentant du roi et sorte d’ancêtre des procureurs actuels. La prison de Lyon s’y trouvait également. Au fil des siècles, le palais de Roanne ne cessa toutefois de se dégrader avant d’être détruit par un incendie en 1622.
La situation du palais, coincé entre la colline de Fourvière et la rive de Saône, n’était d’ailleurs pas idéale. Entouré d’étroites rues causant « un si grand embarras de charrettes et de chevaux qu’on ne peut passer pour aller audit palais qu’avec de grandes incommodités », selon une source contemporaine, son transfert aux Terreaux ou à Bellecour fut envisagé.
Déjà à l’époque, le monde judiciaire refusait de changer de quartier et en 1640, la construction du premier vrai palais de justice fut terminée sur le même site. Vite à l’étroit, l’institution dut néanmoins s’installer dans des annexes situés à proximité. L’éclatement sur plusieurs sites étant peu commode, la décision fut prise en 1825 de construire une nouvelle bâtisse.
Aussitôt de nouveaux projets de relocalisation apparurent. Notamment place Louis XVIII (l’actuelle place Carnot). Un choix pas illogique, puisqu’il aurait placé l’institution judiciaire à proximité des prisons Saint-Paul et Saint-Joseph, construites peu après dans le quartier Perrache.
Le concours d’architecte fut remporté par le Parisien Louis-Pierre Baltard, au grand dam de ses confrères lyonnais. Le même architecte à qui on doit d’ailleurs la construction de la prison Saint-Joseph. Prônant la nécessité d’une cohérence totale entre architecture, décoration et mobilier, Baltard décidait de tous les détails.
Marqué par un séjour à Rome, l’architecte mélange allégrement un certain nombre de styles, pas forcément contemporains : La façade principale de 85 m de long est ainsi inspirée des temples romains, les autres côtés rappellent des palais italiens de la Renaissance, tandis que la salle des pas perdus a été créée sur le modèle des temples de l’Antiquité. « Une architecture qu’on n’ose plus », commente Christiane Taubira, louant la « majesté et solennité » de l’édifice, classé monument historique le 13 février 1996.
La première pierre de l’édifice fut posée le 28 juillet 1835, point de départ de sept ans de travaux. Les 24 colonnes corinthiennes de la façade côté Saône sont réalisées en pierre de Villebois tandis que les chapiteaux ont été exécutés en pierre jaune de Cruas et de Rocheret, afin d’assurer une bichromie. Leur nombre est à rapprocher de celui des heures de la journée. Des esprits chagrins, heurtés par les choix architecturaux de Baltard, les comparèrent alors à autant de filles de joie attendant leurs clients. Décédé en 1846, l’architecte n’a pu assister à la cérémonie d’achèvement des travaux, célébrée le 30 juillet 1847.
Des procès historiques
De nombreux procès historiques ont eu lieu entre ces vieux murs. C’est ici que le premier procès pour crimes contre l’humanité, contre Klaus Barbie s’est tenu en 1987, dans une salle des pas perdus spécialement aménagée en salle d’audience. L’histoire retiendra également le procès intenté en 1943 à Jean de Lattre de Tassigny pour trahison, le général ayant désobéi à l’ordre de Vichy, de ne pas intervenir devant la progression des troupes nazies.
Sans oublier la condamnation à mort en 1884 de l’anarchiste italien Santo Caserio, jugé coupable de l’assassinat du président de la république Sadi Carnot. Et celle à la réclusion à perpétuité de Charles Maurras, en 1945, pour intelligence avec une puissance ennemie.
C’est encore ici que furent jugées la catastrophe de la raffinerie de Feyzin, qui a explosé le 4 janvier 1966, premier grand procès de catastrophe technologique, la caisse noire des Verts, premier procès footballistique, ou encore la branche lyonnaise d’Action directe, seul procès terroriste de province.
Quatre ans de travaux
150 ans après sa construction, le palais de justice s’est donc offert un lifting complet. Confiés aux architectes Denis Eyraud et Didier Repellin, les travaux ont commencé en mai 2008 sur un site resté en activité pour se terminer le 11 mai 2012. « Cette importante et délicate opération a été conduite dans le respect des délais et budgets (56 millions d’euros, ndlr), impartis », se félicite Jean Trotel.
Mise au normes des installations techniques, réorganisation des espaces, création de salles de réunion, installation de systèmes de sonorisation et de vidéoconférence dans les salles d’audience, suppression de l’ancienne chaufferie au fioul, la restructuration du palais a permis de doter les magistrats et greffiers d’un outil de travail moderne. Sans oublier le rafraîchissement décoratif des lieux. Les murs ont été décapés, les dorures et le bois rénovés, des soieries remplacées.
Quelques détails restent toutefois encore à régler. Dans quelques mois, seront posés de part et d’autre de l’escalier monumental deux lions en bronze, prévus à l’origine par Baltard, mais jamais réalisés faute d’argent. Puis, en juin sera livré le parvis du palais, réaménagé dans le cadre du projet Rives de Saône.
« Les magistrats, fonctionnaires et avocats sont fiers de travailler, non pas dans un musée, mais dans une œuvre d’art qui bénéficie des prestations les plus fonctionnelles pour le meilleur service au justiciable », fait remarquer Jacques Beaume. « Ils n’ont pas le droit de rendre une médiocre justice dans un tel environnement. »
La rénovation en chiffres :
– Surface : 11 391 m² sur 5 niveaux
– Coût : 55 950 000 euros (État : 40 050 000 euros, Département : 15 900 000 euros)
– Plus de 550 000 heures de travail