8h devant le lycée professionnel Tony Garnier (Bron bâtiment) à Mermoz. C’est l’un des premiers à avoir tenté des blocages dès mercredi et qui a connu quelques feux de poubelles le lendemain. L’entrée est barrée d’une banderole « Lycée Tony Garnier en grève ». Quelque 200 élèves se sont rassemblés dans le calme devant la grille de l’établissement. Ils sont rejoints par une dizaine de professeurs, eux aussi en grève. Le lycée est connu pour être plutôt contestataire, le taux de grévistes y atteint parfois les 50% lors de journées de mobilisation nationales. Jim Bugni, prof de sciences et de mathématique explique sa motivation : « La France est un pays riche qui a les ressources nécessaires pour financer les retraites. Mais ce sont toujours les travailleurs qui doivent faire des sacrifices ». Vers 8h30, le groupe se met en marche pour rejoindre d’autres établissements. Le mot d’ordre est donné de se retrouver à 10h à Bellecour. Les jeunes se dirigent vers la station de métro Mermoz où la surveillance a été renforcée, suite aux casses de la veille. Une dizaine d’agents de sécurité sont postés à l’entrée, tandis que les portillons restent ouverts.
Au même moment, des personnes extérieures à l’établissement, selon l’expression consacrée font leur apparition au lycée de la Martinière à Monplaisir. Ici aussi, les jeunes s’étaient rassemblés dans le calme. Les arrivants renversent des poubelles, y mettent le feu, avant de disparaître dans les rues du quartier. Une voiture de police se fait caillasser sur son passage. « Ils étaient une centaine, vêtus de noir et cagoulés », décrit Jean-Claude Coldeboeuf, gardien dans un immeuble en face de l’école qui a vu ses poubelles partir en flammes. Deux jeunes passent par là : « écrivez que la France est énervée contre les réformes », lance-t-ils. « Oui, mais les gens dont vous cassez les voitures (1 rétroviseur a été abîmé dans la rue, ndlr) n’y sont pour rien », leur répond une riveraine. « C’est vrai, ce n’est pas bien, Madame », reconnaissent les deux jeunes, penauds.
Quelques rues plus loin, bd des Etats-Unis, ça s’agite. 300 à 400 élèves du lycée Lumière et de Marcel Sembat à Vénissieux se sont installés sur les voies du tram T4. Un matelas et quelques cartons brûlent, mais le mouvement reste bon enfant. Vers 9h30, les jeunes se mettent en marche, direction centre ville. La police surveille, mais n’intervient pas. Sur leur chemin, une rame de tram essuie des jets d’œufs, une vitre vole en éclats. Les abris-tram sont pris à parti aux arrêts Route de Vienne et Centre Berthelot.
Les lycéens avancent sans banderoles ni slogans. S’ils manifestent, c’est en raison d’un raz-le-bol général. « Sarkozy a triplé son salaire mais les prestations sociales baissent. Aux urgences j’ai dû payer 15 euros. Avant c’était gratuit », clame Walid qui vient d’avoir 18 ans. « Les retraites nous concernent aussi », estiment de leur côté Raphaëlle et Philippine, 17 ans, deux élèves rencontrées à Bron. « Puis, avec le taux de chômage élevé, on aura beaucoup de mal à trouver un premier emploi. » « On prépare notre avenir », résume Selim, 17 ans, un autre lycéen de Bron bâtiment.
Comme la veille, le cortège se dirige vers le lycée Récamier à Perrache, devant lequel de nombreux jeunes se sont rassemblés depuis 6h du matin, là aussi dans le calme. A l’arrivée des nouveaux, les esprits commencent néanmoins à s’échauffer. Une bagarre éclaire éclate entre locaux et extérieurs. Elle nécessite l’évacuation d’un élève de Récamier qui a reçu quelques coups. « Ce n’est pas ça que nous voulons », s’indigne Youssef, l’un des organisateurs du mouvement à l’établissement de Perrache. « Le lycée Récamier est un lycée pacifique. »
Service d’ordre
Si les débordements restent à ce stade encore sporadiques, c’est qu’un service d’ordre improvisé mais plutôt efficace, veille au grain. « On est 5 ou 6 », estime Mohamed, 16 ans, le plus actif. Quand des policiers essuient quelques jets de pierre, c’est lui qui va négocier avec eux pour éviter l’escalade. Puis, s’atteler à calmer les provocateurs. C’est encore lui, qui va intervenir lorsque quelques jeunes se prennent le chou avec un boulanger sur le parcours. Puis, c’est toujours lui qui va récupérer un fumigène jeté par un casseur dans une voiture garée, avant que celle-ci ne prenne feu.
Le cortège de Rillieux est lui aussi doté d’un service d’ordre, mais d’un tout autre genre. Ici ce sont les étudiants des Jeunesses communistes qui encadrent les lycéens. Tant bien que mal, car « la fougue de la jeunesse prend vite le dessus », reconnaît Maëlys, l’une des militantes. Avec la discipline les jeunes communistes apportent aussi leur savoir faire. Ainsi le cortège, qui rassemble les lycéens d’Albert Camus et Georges Lamarque, affiche banderoles et pancartes, dispose d’un porte-voix et scande les mêmes slogans que les grands. Les « tous ensemble, tous ensemble, ouais, ouais » et « plus jamais Sarkozy » fusent.
Les casseurs en action
Les deux groupes continuent leur progression ensemble. Arrivés en Presqu’île, les choses commencent néanmoins à se gâter. Dans l’étroite rue Sainte-Hélène, une Mini et une Nissan sont dégradées. Des policiers en civil interpellent l’auteur, le plaquent au sol. Il n’a plus l’âge d’un lycéen. La tension monte. Puis, retombe temporairement. Le cortège continue son chemin, traverse Bellecour où des paquets de journaux sont incendiés, puis remonte la rue de la République. Quelques chaises de terrasses volent, des tables sont renversées. Puis, à hauteur de la rue Gentil, les lycéens butent sur les CRS.
Tout contents, quelques dizaines de jeunes se mettent à provoquer les forces de l’ordre. Aux jets de poubelles, cailloux et bouteilles, les policiers répondent par des grenades lacrymogènes. « Après, les gens pensent que tous les jeunes sont comme ça », déplore une lycéenne. « C’est le seul moyen que nous ayons trouvé, pour nous faire entendre », rétorque une autre. Puis les CRS repoussent petit à petit les manifestants vers la place des Cordeliers, puis vers le quai Jean Moulin, où une voiture est renversée. Le groupe finit par s’éparpiller. En début d’après-midi, le calme revient.
Les transports paralysés
Outre les trams 2 et 4, la manifestation a aussi perturbé les bus et métros. Les trois stations principales de métro en centre-ville ont dû être bouclées une partie de la matinée. Le réseau de bus et de tramways est resté toute la journée très désorganisé.
La préfecture annonce l’interpellation de « 35 jeunes auteurs d’exactions pour des faits de dégradations volontaires et d’outrages. » Puis, ajoute que « parmi les 22 personnes interpellées hier, 12 sont défavorablement connues des services de police. »
Les réactions fusent
Ces débordements ont eu le don d’énerver Gérard Collomb. « Depuis hier, les manifestations organisées par les lycéens et étudiants de notre ville pour protester contre la réforme des retraites sont entachées par de violents affrontements et d’importantes dégradations dans l’espace public », déclare le sénateur-maire dans un communiqué. « Il est intolérable que ces rassemblements soient prétextes à de tels débordements. [...] J’en appelle à la responsabilité de chacun pour un retour rapide à l’ordre et à la tranquillité publique. »
Le NPA Rhône-Alpes, quant à lui, condamne les violences policières dont les lycéens et les étudiants auraient été victimes. « La police a bloqué les jeunes manifestants, utilisant des matraques, des gaz lacrymogènes et même des flash-balls, ceci alors qu’un jeune a été blessé au visage par ce type de tir à Montreuil », déplore le parti d’extrême-gauche dans un communiqué.
Puis, la Jeunesse communiste « appelle tous les lycéens à s’organiser afin de porter efficacement un mot d’ordre clair et révolutionnaire. »