Duchère

Barre 220 : beaucoup de poussière et d’émotions

« Vous voyez le balcon bleu en dessous du vert ? C’est là que j’ai habité. » Thérèse pointe du doigt le 7ème étage de l’allée 223D. Le balcon n’est bleu que depuis décembre 2008 quand la façade de cet immense bâtiment a été bariolée pour la Fête des lumières. Pendant 45 ans, la barre 220 à la Duchère, c’était son chez elle. Ce mercredi, à 12h05 précises, l’immeuble, long de 163 m et haut de 50 m, s’est effondré comme un château de cartes. En 6 secondes, les quelque 340 logements ont disparu dans un nuage de poussière. Il n’en reste plus que 52 000 tonnes de gravats.

Thérèse est arrivée à Lyon en 1962, en provenance d’Alger avec son mari et ses 3 filles (un quatrième enfant est né à Lyon). Elle aménage dans ce quartier flambant neuf, la barre 220 venait d’être achevée. « La vie y était géniale », se souvient Monique, l’une des 3 sœurs, « tout le monde se connaissait et on avait tout à proximité. On a eu une belle jeunesse. »

Mais le quartier a vécu. En 2002, est lancé le Grand Projet de Ville (GPV) et la barre 220, comme ses 2 voisines, vouée à la démolition. En 2005, Thérèse, la mère de Monique a déménagé à quelque mètres de là dans la barre Chicago, fraîchement rénovée. « On y a visité des appartements, c’est mieux que chez moi » confiera un peu plus tard Gérard Collomb aux nombreux journalistes. Sauf que Thérèse habite maintenant au 13ème étage. Comme elle est claustrophobe, elle préfère descendre à pied, plutôt que de prendre seule l’ascenseur. Ainsi, 13 étages, ça fait haut.

« C’est l’avenir de la ville du 21ème siècle qu’on est en train de construire à la Duchère », se félicite Gérard Collomb, qui se dit « vraiment heureux » lors du point presse, sous un chapiteau improvisé au stade de la Duchère. Devant une maquette du futur quartier rénové, une baguette à la main, le maire de Lyon explique : « on a construit comme les Romains : un axe nord-sud (l’avenue du Plateau, ndlr) et un axe est-ouest (l’avenue Rosa Parks). Au croisement, on a mis une place (la place Abbé-Pierre) et des immeubles qui ressemblent à ceux de la vie normale. »

Au total, 1700 logements auront été détruits d’ici 2016, et autant reconstruits dans de petites résidences, qui ne dépasseront pas les 7 étages. La démolition des barres 210, 220 et 230 permet d’ouvrir le quartier sur le Parc du Vallon. « Il y aura des plans d’eau qui vont faire le bonheur des habitants de la Duchère », promet Gérard Collomb, qui mise sur cette nouvelle qualité de vie pour attirer des classes plus aisés. « On aura gagné notre pari quand on dira : "regarde, là il y a les bobos de la Duchère." »

La barre 220 est la deuxième de l’ensemble des mille, qui comptait avec ses deux voisines quelque 1000 appartements. La barre 210 a été démolie en 2005, la 230 connaîtra le même sort en 2013. L’opération de ce mercredi aura nécessité l’évacuation de 2100 personnes vivant à proximité du chantier. Dès 8h30, ils avaient été invitées à quitter leurs appartements et venir au stade, où l’implosion de la barre était retransmise sur grand écran. Après un déjeuner offert sur place, ils ont pu regagner leurs logements à 14h.

Quant à Thérèse, c’est avec un pincement au cœur, qu’elle a assisté avec 2 de ses filles à la démolition de l’immeuble qui les a accueilli à leur arrivée d’Alger. « Que de souvenirs qui vont disparaître », soupire la mère. Et de prévenir : « la barre c’est du costaud. » Pas suffisamment pour résister aux 400 kg d’explosifs, placés dans 4 des 16 étages. Quand le nuage de poussière s’élève vers le ciel, les 3 femmes se détournent, les yeux embués par l’émotion.

Publié le : jeudi 20 mai 2010, par Michael Augustin