« Transmission ». Ce mot était sur toutes les lèvres lors de la conférence de presse de lancement des festivités. Autour de la table du Club de la presse de Lyon, les cheveux des marcheurs et soutiens de l’époque ont viré au poivre et sel, voire au blanc argenté. « Pour les 50 ans, on ne sera peut-être plus là », tente Salika Amara, une autre figure historique de la lutte antiraciste. Transmettre l’histoire de la Marche des Beurs aux jeunes générations s’impose alors comme un impératif.
Le 15 octobre 1983, la Marche pour l’égalité et contre le racisme avait démarré à Marseille dans une indifférence polie. Sept semaines et mille kilomètres plus tard, le 3 décembre, rejoints par tout ce que la gauche comptait alors d’organisations syndicales et antiracistes, les marcheurs avaient été accueillis à Paris par une manifestation monstre de 100 000 manifestants. Le soir même, le président de la République François Mitterrand avait reçu une délégation à l’Elysée.
Entretemps, le mouvement avait été rebaptisé Marche des Beurs. Un terme que les militants récusent. « C’étaient des jeunes Français, nés en France mais qui n’étaient pas considérés comme des citoyens français », pointe Saïd Idir qui coordonne le collectif.
Aux difficultés d’accès à l’éducation, la santé, le marché du travail s’ajoutaient alors des meurtres à caractère raciste, largement répandus et faiblement punis. « On ne veut pas revivre ça », s’exclame Saïd Idir, qui dénonce, de nos jours, la résurgence d’un « racisme assumé dans les éléments de langage » chez certains politiques et journalistes. Et de réclamer « des discours qui nous rassemblent au lieu de nous fracturer ».
Les 40 ans de la Marche des Beurs sont alors l’occasion rêvée pour porter un tel discours. « Nous voulons donner à l’évènement une portée nationale », indique Farid L’Haoua, l’un des marcheurs de 1983. Pour cela, les idées ne manquent pas : une exposition itinérante, des pièces de théâtre, la projection de documentaires. Et l’édition d’un guide à l’attention des enseignants. « Dans les manuels des collèges, seule une demi-page est consacrée à notre Marche », se désole Farid L’Haoua. « C’est trop peu. »
Et le temps presse. Car pas grand chose n’est calé encore, tout est en gestation. « Nous sommes tous des bénévoles », s’excuse-t-on en coulisses. Dans le Grand Lyon, le Mouvement pour une Alternative Non-violente (MAN), déjà présent en 1983, tente de fédérer des jeunes de quatre villes et quartier populaires : la Duchère, Vénissieux, Vaulx-en-Velin et Rillieux-la-Pape. L’idée est de les faire travailler sur des revendications qu’ils pourront alors confronter au préfet et au président de la Métropole. Puis, une mini Marche convergente au départ de chacun des quartiers doit les réunir aux Terreaux pour un grand concert public en plein air. Reste à trouver la date. Le 28 octobre, date anniversaire du passage de la Marche des Beurs à Lyon, tombe au milieu des vacances de la Toussaint. Et à recruter les jeunes participants.