Mercredi à 15h50, Guilherme Hauka Azanga quitte le Centre de rétention administratif de Saint-Exupéry où il est assigné depuis le 25 mars. Encadré par un important dispositif policier (deux hélicoptères de la gendarmerie et plusieurs cars de CRS), il est mis dans un avion spécial qui le transfère à Roissy. Le soir même, il doit partir à 22h05, à bord du vol Air France AF928 pour Luanda, la capitale de l’Angola. L’avion décolle finalement avec plus d’une heure de retard, mais sans Guilherme. Le pilote avait refusé de prendre à bord ce passager entravé et bâillonné. « Il m’a raconté avoir été ligoté comme un saucisson, on lui a mis un bâillon avec des trous pour respirer », décrit Me Dominique Noguères de la Ligue des Droits de l’Homme. Le sans-papier est alors placé au Centre de rétention de Bobigny.
Le lendemain, à Lyon, quelques parents se retrouvent à 16h30 devant l’école Gilbert Dru (Lyon 7ème), l’établissement qui accueille les enfants de Guilherme Hauka Azanga. Ils ont organisé une vente de gâteau par solidarité avec la famille. Une banderole est accrochée sur laquelle on peut lire « Papa en instance d’expulsion, école en colère ». Ils n’ont pas le moral. La veille, ils étaient encore 300 aux Terreaux sous la pluie, avant se diriger vers la préfecture. « Ce qu’on lui fait subir, comment on le traite, c’est de l’indécence », s’écrie Elodie Covo. « Gaël, son fils de trois ans ne s’endort pas avant minuit parce qu’il réclame son père. On voit les enfants arriver le matin avec des cernes sous les yeux. Ce sont des enfants qui travaillent bien à l’école. » « Cette famille fait partie de ce quartier, elle n’a pas à être détruite », renchérit Noël Pozzo di Borgo, le papa d’une petite fille scolarisée dans la même école.
Mais ils n’y croient plus trop. Des rumeurs parlent d’un avion militaire qui doit décoller à 17h30 du Bourget, pour amener Guilherme Hauka Azanga soit à Lisbonne, soit à Francfort, où des vols réguliers sont prévus pour l’Angola. Les parents réfléchissent déjà à la phase 2 de leur mobilisation, à déclencher après l’expulsion. Sans trop de se faire d’illusion. « L’Angola est un pays où on ne sait pas ce qui va se passer », s’inquiète Elodie Covo. Le ministère des affaires étrangères recommande d’ailleurs sur son site aux éventuels voyageurs « de privilégier les déplacements en voiture et de toujours circuler vitres fermées et portières verrouillées. De ne pas circuler à pied de nuit, y compris dans le centre-ville. De n’opposer aucune résistance à ses agresseurs (qui peuvent être armés) lors d’une tentative de vol. »
« Incroyable, l’argent qu’ils sont prêts à dépenser »
Toutefois la mobilisation ne faiblit pas. A 18h, ils sont 200 place des Terreaux pour une nouvelle manifestation. A 19h, ils s’installent sur le chaussée et bloquent les bus. Des C3 et 18 s’entassent des deux côtés de la place. Les manifestants scandent « Libérez Guilherme ». « On ne sait pas s’il a embarqué », confie une manifestante. Sur leur site, ils appellent à mobiliser les pilotes allemands et portugais pour qu’il refusent de le prendre à bord. Sur Facebook, ils écrivent : « C’est incroyable l’argent qu’ils sont prêts à dépenser pour expulser 1 seul homme (dont le seul crime est de vouloir rester avec les siens) ». A Paris, le mouvement reçoit le soutien de Laurent Cantet, cinéaste et Palme d’or à Cannes pour Entre les murs, ainsi que de Thierry Frémaux et de Bertand Tavernier.
Puis, à 21h30, une phrase apparaît sur Internet : « Guilherme est libre ! ». La préfecture du Rhône vient d’annoncer avoir décidé de « mettre fin à la rétention administrative » du sans-papier angolais devant l’« impossibilité matérielle » de procéder à son expulsion, mais ce dernier reste toutefois « en situation irrégulière ». Quatre heures plus tôt, il était pourtant bien monté à bord d’un avion spécial et parti en direction du Portugal. Mais le pilote n’a pas pu se poser à Lisbonne, les autorités locales ayant refusé l’autorisation d’atterrissage. Il a dû rebrousser chemin. Reconduit au Centre de rétention de Bobigny, Guilherme a pu téléphoner à ses soutiens. Peu avant minuit, il est libéré et peut retrouver sa compagne, Florence Maweté, qui était montée mercredi à Paris, accompagnée d’une dizaine de militants de RESF.
« Il sera libre mais toujours tenu d’exécuter de lui-même une obligation de quitter le territoire (OQTF), ce qui veut dire qu’il est reconductible à tout moment »", souligne la préfecture. « Maintenant il faut qu’il ait des papiers », réclame Elodie Covo. Un parrainage républicain de la famille est prévu samedi à 16h à la mairie du 7ème. « Nous demandons un titre de séjour provisoire pour Guilherme jusqu’à son procès en appel en novembre. Il pourra ainsi présenter de nouvelles pièces à son dossier. Nous avons confiance en notre justice », a expliqué Annabelle Billaud, une voisine montée à Paris. Parmi ces nouvelles pièces, il y a notamment le certificat de décès de sa première femme angolaise, tuée par balles en 2004. Un document que la préfecture avait jusqu’alors refusé de prendre en compte, affirmant il y a une semaine encore que « le centre familial de M. Hauka Azanga est, de toute évidence, dans son pays, en Angola, où résident son épouse et ses 5 enfants. »