« Il ne se lasse jamais de regarder les femmes, les hommes, les enfants, en se plaçant juste à la bonne distance pour les comprendre et révéler leur singularité », résume Lorène Durret, la jeune commissaire de l’exposition. Pendant 50 ans, Marc Riboud a ainsi été le témoin privilégié de nombreux bouleversements dans le monde, entre l’Afrique et la Chine, l’URSS et les États-Unis.
Né à Saint-Genis-Laval en 1923, le jeune Marc, adolescent taciturne, se voit offrir par son père un vieux Vest Pocket Kodak. « Il avait sept enfants, mais c’est à moi qu’il l’a donné », se souvient-il. Un signe du destin ? Le cadeau était assorti de cette phrase : « Si tu ne sais pas parler, tu sauras peut-être regarder. »
Après des études d’ingénieur dont il sort sans diplôme et quelques essais infructueux dans ce métier, le jeune Marc Riboud se tourne définitivement vers la photographie. Il déménage à Paris. Lorsque, comme tout bon provincial, il s’en va photographier la Tour Eiffel, il aperçoit tout en haut des ouvriers en train de repeindre les poutrelles métalliques de l’ouvrage. Il monte l’escalier en colimaçon, armé de son boitier Leica, qui a remplacé le vieux Kodak, d’un objectif de 50 mm et d’une seule pellicule. La dernière pose fera le tour du monde. Elle montre un peintre-funambule, mégot aux lèvres et espadrilles aux pieds mais sans filet, suspendu à son pinceau avec une désinvolture à la Buster Keaton.
Ce sera le sésame qui lui ouvre les portes de la prestigieuse agence Magnum, où il se fait parrainer par deux monstres du photoreportage : Henri Cartier-Bresson et Robert Capa. « C’est allé très vite. A partir du moment où il a décidé de devenir photographe, il s’est vraiment plongé dedans », raconte Lorène Durret.
Une vie de voyages
Capa l’envoie en Angleterre pour « voir les filles et apprendre l’anglais ». Il n’aura pas vu beaucoup de filles, appris un peu l’anglais mais reviendra avec un stock d’images sur la vie anglaise d’après la guerre. Il photographie les loisirs des londoniens qui s’amusent sur les plages de Southend-on-sea, se rend à Leeds, où il capte l’austérité de cette ville industrielle. Ses clichés sont tantôt empreints de gravité comme lorsqu’il photographie des dockers en grève, tantôt teintés d’un humour léger mais jamais méchant.
Dès lors, le jeune lyonnais ne cesse plus de voyager. Se définissant avant tout comme un « promeneur plutôt qu’un voyageur », Marc Riboud parcourra le monde : Yougouslavie, Turquie, Iran, Afghanistan et surtout l’Orient : l’Inde, la Chine et le Japon où il passera plusieurs mois. Avant d’y retourner de nombreuses fois au cours de sa vie. « Il aime voir comment les gens ont évolué », explique la commissaire de l’exposition.
Géométrie et composition
De ses études d’ingénieur, Marc Riboud a gardé le sens de la composition et de la géométrie. « Des lignes et des cercles, des volumes et de la lumière naissent des parallèles, des décalages et des télescopages d’où surgissent l’humour, la douceur ou la gravité », résume Jean-Jack Queyranne, le président du conseil régional qui accueille l’exposition. L’artiste, lui, définit son travail comme « une succession de fausses notes à la recherche de la note juste ».
Le photographe lyonnais a également couvert des sujets d’actualités : le couronnement du roi du Népal sur ses somptueux éléphants ou encore le procès de Klaus Barbie à Lyon. Celui qui, à 21 ans, avait pris le chemin du maquis du Vercors et a vu nombre de ses camarades périr sous la torture du boucher de Lyon, découvre alors sur ses clichés ces « regards respectueux » que les avocats du tortionnaires lèvent vers leur client, « comme si c’était une vedette ».
Parmi les quelque 150 clichés exposés à Lyon, un tiers environ sont des inédits. Comme cette série sur l’Alaska, où les formes se découpent sur le blanc immaculé de la neige. Des photographies presque abstraites, épurées.
Quand Lyon ne voulait pas de son enfant
En 2004, Marc Riboud avait proposé à la ville de Lyon de lui léguer l’intégralité de son fonds photographique, à condition de lui trouver un lieu adéquat. Le projet a avorté, faute de « volonté politique » du maire de Lyon, pointe Jean-Jack Queyranne qui déplore « une occasion manquée ». Ce patrimoine exceptionnel ne sera ainsi que de passage dans la ville natale du photographe.
Info : Marc Riboud, premiers déclics, jusqu’au 21 février 2015, Hôtel de région (Confluence), du lundi au vendredi de 10h à 18h, le samedi de 10h à 19h. Entrée libre et gratuite, visites guidées sur réservation à mediationleplateau[arobase]rhonealpes.fr ou au 06 85 01 85 82.
Par ailleurs, le coffret Vers l’orient retrace en 5 livrets les voyages du photographe au Japon, Chine, Inde, Népal, Iran, Afghanistan, Pakistan et Turquie (consultable sur place, 55 euros en librairie).