A voir le déploiement policier, on aurait pu penser à un procès de grand banditisme ou d’évasion en multirécidive. 8 fourgons de la gendarmerie stationnait en file indienne devant le palais de justice, rue Serviant (Lyon 3ème). Plusieurs dizaines d’agents ont été mobilisés. A l’intérieur, la salle d’audience G était pleine à craquer, remplie de journalistes et de nombreux étudiants venus soutenir leurs camarades, au point que tous n’ont pas pu entrer. Un cortège d’une centaine de cheminots SUD Rail et CGT, fumigènes à la main, s’était également déplacé devant le palais de justice pour « soutenir les jeunes ».
Au vu du déploiement policier, les faits reprochés à Camille et Lou paraissaient presque dérisoires : dégradation d’un panneau publicitaire pour l’une, jet d’un sac de feuilles mortes pour l’autre. Un troisième prévenu, Fabien, poursuivi pour des faits plus graves (dégradation de plusieurs voitures) a demandé le renvoi de son procès pour préparer sa défense.
Les deux autres, Camille et Lou, ont accepté la comparution immédiate. Anciens élèves du lycée Lumière (Lyon 8ème), ils participaient à la première manifestation sauvage, jeudi dernier. A proximité du lycée de la Martinière, au pied des pentes de la Croix-Rousse, Camille se fait arrêter en flag’ après avoir jeté un projectile contre un panneau publicitaire Decaux. Des lycéens s’opposent à son arrestation. Un sac de feuilles mortes du Grand Lyon vole en direction des policiers, et Lou se fait arrêter à son tour, accusé d’avoir utilisé cette « arme par destination ».
Camille, la lycéenne qui prépare son bac en candidat libre, donnera une fausse identité aux policiers et refusera les prélèvements d’ADN et d’empreintes digitales. Après 48 heures de garde à vue et autant de détention provisoire à Corbas, elle comparaît les menottes aux poignets. A la barre, elle plaide coupable pour la sucette Decaux, les parents avaient d’ores et déjà remboursé à l’entreprise les dégâts causés par leur fille. Il lui est également reproché d’avoir dégradé une voiture en montant dessus. Selon la déposition enregistrée par la police, elle aurait été formellement identifiée par la propriétaire du véhicule. Or, lors du procès, celle-ci ne se souvient plus que d’avoir vu Camille poser ses mains sur le capot. Elle sera débouté de sa demande d’indemnisation.
Lou, plus coopératif, arrive libre au procès. Il nie le jet de sac poubelle, qui aurait été envoyé par quelqu’un derrière lui. Pas possible, rétorquent les policiers visés, le sac était trop léger pour être parti de si loin. La procureure, qui a provoqué des rires dans l’assistance, en expliquant que les fichiers ADN servent aussi à identifier des victimes d’accident, se veut intransigeante et demande 3 mois fermes pour chacun.
« Pas une fille d’Action directe »
Un réquisitoire qui fait grimper au plafond Me Naserzadeh, l’avocate de la défense. Elle pointe la médiatisation de l’affaire et la tentation de constituer un exemple, en soulignant que les deux prévenus ont un casier judiciaire vierge. Elle dénonce les conditions dans lesquelles Camille est interpellée, attrapée par le cou, puis les bras et les jambes, avant d’être plaquée le visage contre le trottoir. « Ce n’est pas une fille d’Action directe », s’étrangle l’avocate. « Ce que les deux ont fait est grave mais pas gravissime. »
Le sincérité des policiers en question
Puis, elle revient sur la déposition de la propriétaire de la voiture, finalement contredite à la barre, accusant les policiers d’avoir forcé le trait. Elle pointe leurs propres incohérences. Le sac, rempli de feuilles mortes, était trop léger pour avoir été jeté de loin, mais suffisamment lourd pour déstabiliser un policier qui, à la barre, paraissait plutôt costaud. Puis, les policiers s’étaient tantôt écartés pour laisser passer le sac, tantôt retournés et l’ont pris dans le dos.
300 euros pour des doigts d’honneur
Camille a été condamnée à 2 mois avec sursis et 1 400 euros d’amende, dont 1 000 avec sursis, Lou écope de trois mois avec sursis et de 300 euros d’amende. Il doit également 150 euros à chaque policier pour des doigts d’honneur. La mère de Camille exprime son soulagement : « on craignait des peines pour l’exemple. Ça aurait été aberrant pour des faits tellement minimes. » A la sortie, les quelques élèves du lycée Lumière, dénonçait des « arrestations arbitraires », tandis que la famille de Lou n’a pas souhaité s’exprimer.
Le PS condamne les comparutions immédiates
« S’il est bien évident que les auteurs d’actes délictueux doivent être condamnés et sanctionnés juridiquement, il nous parait également injuste de faire passer des lycéens en comparution immédiate, cette procédure est trop expéditive, garantissant trop souvent l’impunité des coupables et la condamnation des innocents », écrit la fédération du Rhône du PS dans un communiqué.