Il est 9h49 quand Toni Musulin entre dans le box. Vêtu d’une veste grise et d’un pull noir, il a pris quelques kilos au cours de sa détention à la maison d’arrêt de Corbas. Son visage est encadré par une barbe poivre et sel. On a du mal à le reconnaître comparé aux photos qui ont été diffusées après la braquage. Ne souhaitant pas être photographié durant le procès, il n’y aura pas de nouvelles images. D’ailleurs, deux personnes ayant tenté leur chance dans l’assistance ont été interpellées par les policiers présents dans la salle et leur clichés effacés.
« J’ai pété un câble »
La ligne de la défense est clair : faire apparaître Toni Musulin comme un type ordinaire qui a agit par raz-le-bol. C’est en répétant presque mot pour mot cette consigne que le célèbre convoyeur de fonds va démarrer ses explications : « On a dit que je suis un Robin des bois. Ben non, je suis normal. J’ai eu un souci avec mon patron. J’ai pété un câble. » Ses avocats tentent de démontrer que les relations tendues avec son employeur, la société Loomis, et les conditions de travail l’ont poussé à accomplir son acte fou.
Ainsi, la matinée tourne au procès de la société Loomis. Fourgons blindés en piteux état, règles de sécurité bafouées, une direction qui faisait primer la rentabilité sur la sécurité, tout y passe. Appelés à la barre, les deux ex-coéquipiers de Toni Musulin et un délégué syndical confirment les dires du convoyeur. Le constat de Kader Benguèche, délégué CGT, est accablant. Il raconte les GPS permettant de localiser les véhicules qui ne fonctionnaient pas, des portes de fourgons qui ne fermaient pas, les boulons qui tombaient. « On croise les doigts pour ne pas qu’il tombe en panne. Mais il faut que les camions partent de toute façon. On est une entreprise de profit, la rentabilité prime », dénonce-t-il. « Finalement ce qu’a fait Toni Musulin n’a pas été inutile pour votre sécurité », lui lance Me Hervé Banbanaste, l’un de des deux avocats du convoyeur.
« On change de procès »
Le président du tribunal, Jean-Hugues Gay, intervient alors pour recadrer les débats : « On est en train de changer de procès ! Il y a quand même eu un vol... Si ça continue, je vais devoir renvoyer Loomis devant les Prud’hommes ! » Les deux ex-collègues de Musulin détaillent les sanctions dont ils ont écopé suite à la disparition du fourgon. Le président du tribunal interpelle Musulin : « vous n’avez pas quelque chose à dire ? » « Je suis désolé pour mes deux collèges », répond le convoyeur de sa voix bougonne. « Quand même ! » s’exclame le juge. « L’entreprise n’a pas sanctionné les bonnes personnes », conclut le Villeurbannais.
Quant au butin, Toni Musulin continue de se murer dans le silence. Selon lui, il ne lui en reste plus rien. Or, sur les 11,605 millions d’euros volés, la police n’a retrouvé dans le box loué par le convoyeur que 9,605 millions. La différence, 2,5 millions tout rond, dont la totalité des gros billets de 200 et 500 euros, reste introuvable. Lors de l’instruction, Musulin avait soutenu que la camionnette louée avait été trop petite pour tout charger. Or, la notice du véhicule prouve qu’il aurait pu en mettre presque le double. A la barre, il a alors changé de stratégie et affirmé que les sacs jetés à la hâte glissaient et n’arrêtaient pas de tomber du véhicule. Faute de temps, il aurait dû alors laisser une partie du butin dans le fourgon. La police l’a pourtant trouvé vide. « Des passants ont pris l’argent », tente alors d’expliquer le prévenu, avant de finalement laisser entendre que le propriétaire du box, où la police a retrouvé la Kangoo, s’est peut-être servi. « Il avait un double des clés. » Une explication qui n’a pas convaincu les juges, puisque les emballages des billets volatilisés ont été retrouvés accompagnés des clés du fourgon dans un sac poubelle à Vénissieux.
Autre mystère : pourquoi Toni Musulin s’est rendu à Monaco, plutôt qu’en France ? A la barre, il a dévoilé quelques détails de ses 11 jours de cavale. Du genre comique plutôt qu’instructif. Selon son récit, il s’est d’abord rendu en moto à Turin, avant de prendre le train pour Rome et Nâples. Pourquoi l’Italie ? « Ils sont cool les Italiens », répond le convoyeur. Qu’est-ce qu’il y a fait ? « Ben, mangé des pâtes. » Puis, il a appris que son box avait été découvert. « J’avais un peu les boules. Si je pensais qu’ils allaient trouver le butin, je l’aurais pas fait », a grommelé Musulin. A court d’argent et las de sa fuite, il aurait alors décidé de se rendre. Son arrivée à Monaco, où il s’est présenté à la police, pose d’autres questions. En venant d’Italie, il aurait dû entrer par l’est dans la Principauté. Or, les caméras de surveillance l’ont vu arriver par l’ouest, étant passé par la France, donc. Pourquoi ? Il se serait perdu sur les routes nationales italiennes.
La mystérieuse disparition de la Ferrari
L’après-midi était consacré à une autre affaire impliquant Toni Musulin, sans rapporta avec le vol, mais jugée en même temps : la disparition de sa Ferrari. Achetée 112 000 euros le 17 mars 2008, elle lui aurait été volé lors d’un car-jacking (vol de voiture avec violence) le 8 mai 2009. Interrogé sur l’origine de l’argent qui lui a permis d’acheter le bolide, le convoyeur a déclaré avoir toujours « travaillé à deux, trois endroits en même temps. »
Vite des zones d’ombres apparaissent dans ce dossier. Ainsi, la carte grise de la voiture de sport n’a été mise au nom de Toni Musulin que le 23 avril 2009, soit 15 jours avant sa disparition. Les circonstances du prétendu vol ne sont pas claires non plus. Selon le récit du convoyeur, roulant sur une route départementale, il aurait été menacé avec une arme par deux motards. Une fois les malfaiteurs partis à bord de la Ferrari, Toni Musulin affirme avoir été pris en charge par un automobiliste qui passait par là. Or, Toni Musulin était incapable de décrire ni l’automobiliste, ni les deux motos, ni même de retrouver l’endroit exacte de l’agression supposée.
Plus troublant encore, la semaine précédente, le 1er mai, il a passé la frontière croato-serbe à bord de sa Ferrari pour la retraverser en sens inverse le 6 mai à bord d’un autocar. Des relevés téléphoniques attestent également de sa présence en Serbie à ce moment-là. Le bolide a depuis été retrouvé en Albanie. Des faits niés platement par l’intéressé mais jugés suffisamment convaincants par la justice. Seul moyen brandi par la Défense, une fiche de paie de Loomis attestant que Toni Musulin avait travaillé durant la première semaine de mai, n’a pas non plus emporté l’adhésion des magistrat. Rappelé à la barre, le délégué CGT avait expliqué les nombreuses erreurs qui intervenaient lors de la transmission des informations concernant les horaires des convoyeurs.
Le parquet requiert la peine maximale
Dans son réquisitoire, Nicolas Hennebelle, substitut du procureur, a brossé le portrait d’un homme « calculateur » et « parfois cynique ». « Non Monsieur Musulin n’est pas une victime de la société judiciaire, ni une victime de la société Loomis », avait-il clamé. « Ce n’est pas un Arsène Lupin, ce n’est pas un Robin des Bois c’est quelqu’un qui a fait son calcul : "allez, un an de prison, deux ans, trois ans, moins les réductions de peine, et après je pars et je profite des 2,5 millions d’euros" », a-t-il affirmé, fustigeant le manque de coopération du prévenu. « Toni Musulin a la défense habituelle des délinquants : on refuse de répondre aux questions, on ment délibérément », dénonce le procureur, avant de réclamer la peine maximale de cinq ans de prison ferme. Des propos que le convoyeur écoute impassible, tête baissée et les bras croisées sur la poitrine.
Des « réquisitions inacceptables », a répondu Me Christophe Cottet-Bretonnier, qui intervenait sur la tentative d’escroquerie. Il est revenu brièvement sur les zones d’ombre qui subsistent, d’après lui, dans l’enquête, en brandissant notamment à nouveau la fiche de paie et en estimant qu’il était « tellement facile » de falsifier des passeports et plaques d’immatriculation qui ont identifié Toni Musulin en Serbie. Puis, il a surtout souligné qu’en 30 ans les tribunaux français n’ont prononcé de la prison ferme pour tentative d’escroquerie qu’en cas de récidive ou de casier judiciaire chargé, deux conditions que Toni Musulin ne remplit pas. « Ca vaut du sursis », clame-t-il.
« Un type banal »
Quant au vol des 11,6 millions, Me Hervé Banbanaste a appelé les magistrats à ne pas juger « au nombre de journalistes dans la salle ou à l’émotion. » Puis, il a plaidé la tentation à laquelle Toni Musulin aurait succombé : « c’était l’Euromillion sans les aléas. Qui dans la salle ne l’aurait pas fait ? » Avant de se retourner vers son client en disant : « Toni, vous vous êtes plantés. » Puis, il brosse le portrait d’« un type banal qui nous ressemble tous ». « Psychorigide, mais pas un sale type. » Et de tenter de banaliser l’affaire où il n’y a eu ni violence ni efflusion de sang.
S’adressant la dernière fois au convoyeur, le président du tribunal lui lance : Je peux vous demander quelque chose Monsieur Musulin ? Vous pourriez sortir les mains de vos poches de temps à autres ?