Le choc est brutal. Le coin saillant de la porte dégondée le percute au niveau de l’œil droit, transperce le globe oculaire, tout en faisant sauter dans l’œil gauche la cicatrice d’une ancienne opération. Transporté en urgence à l’Hôpital Edouard Herriot, Jean-Michel est opéré pendant 5 heures au pavillon P. Les médecins tentent désespérément de sauver ses yeux. En vain.
« Le patient a basculé depuis cette date dans la cécité complète », peut-on lire dans une expertise médicale que Lyon Info s’est procurée. Des visites dans plusieurs hôpitaux spécialisés à Nantes, Paris et Genève n’y changent rien. « Aucun des experts consultés n’a laissé d’espoir thérapeutique », poursuit l’expertise. Depuis, l’homme se bat contre son employeur pour obtenir réparation. Un parcours du combattant, loin d’être terminé.
« Je ne peux plus rien faire »
« Avez-vous assez de lumière pour écrire ? » demande Jean-Michel, lors de notre entretien. « Est-ce que la lampe est allumée ? Je ne sais pas, je ne vois plus rien. » Cela fait plus de 4 ans que ce passionné de photo, qui croquait la vie à pleines dents, est plongé dans le noir. Plus de 4 ans qu’il se bat pour ses droits. Plus de 4 ans qu’il se sent abandonné par tous.
« Sympathique, serviable, plein de vie », c’est ainsi que le décrivent ses amis. Un baroudeur dans l’âme qui avait travaillé à 1200m d’altitude sur un barrage EDF dans les Alpes, puis sur un voilier au large de l’île des Embiez (Var) ou encore sur un bateau sur le lac des Quatre-Cantons (Suisse).
Amateur de moto, il conduisait une Kawasaki Ninja 1200 et une Suzuki Katana 1100, deux grosses cylindrées, ainsi qu’un quad. Avec ses amis, on le trouvait sur toutes les routes de France. Pour se poser entre deux virées, il s’était acheté en 2001 avec son frère Dominique, une maison de vacances à Usson-en-Forez (Loire). Les deux frangins l’avaient entièrement retapée.
Depuis l’accident, plus rien n’est comme avant. « Je ne peux plus rien faire », se résigne Jean-Michel, qui a dû vendre ses motos. Il ne lui reste plus que la maison de campagne. Où il a de plus en plus de mal à se rendre.
Quelques aides... puis plus rien
Visiblement embêtée par cet accident de travail, la direction du Vinatier s’était d’abord montrée avenante. Elle a fourni à Jean-Michel un ordinateur adapté, financé quelques cours de braille, pris en charge ses déplacements et payé une femme de ménage. Puis, à partir de 2008, plus rien. Jean-Michel doit désormais faire appel à Optibus pour ses déplacements et payer les billets de train de sa poche. « Ils me traitent comme un chien », s’indigne l’ancien commis de cuisine.
Nouvelle désillusion, en août 2009, Jean-Michel s’était inscrit à un stage de six mois à l’Institut Aramav. Cet établissement nîmois réputé apprend aux personnes non-voyantes à retrouver l’autonomie. La direction avait donné son feu vert et promis de prendre en charge le coût du stage (71 000 euros). Puis, quelques jours avant le départ, l’hôpital fait volte-face.
« Un coup de vache », fustige Jean-Pierre Le Coultre, délégué syndical CCT. « Ça s’est fait au dernier moment, pendant les congés. Il n’y avait personne pour prendre la défense de Jean-Michel. » Pour le responsable syndical, « la direction se contente (désormais) du stricte minimum. »
Nouveau coup dur le 3 mars 2010. La commission de réforme de l’hôpital se penche sur le cas de Jean-Michel. Composée de médecins, de représentants du personnel et de la direction, elle est chargée de statuer sur son état de santé. La décision tombe comme un couperet. La commission envoie Jean-Michel en retraite anticipée. Une catastrophe financière pour cet ancien commis de cuisine, qui aurait alors dû se débrouiller avec 700 euros par mois. Sans aucun espoir de retravailler un jour.
« C’était la solution de facilité », s’indigne Jean-Pierre Le Coultre. La décision provoque l’ire des syndicats et l’intervention de l’avocat de Jean-Michel. Devant la fronde, l’hôpital fait marche arrière et décide finalement de le réintégrer.
Ce n’est toutefois qu’en avril 2011, 3 ans et demi après l’accident, que l’hôpital lui aménage un poste de standardiste (photo). Après une formation de 10 jours, Jean-Michel y travaille d’abord le matin, puis depuis avril toute la journée. Mais le combat juridique continue.
Un jugement sévère à l’encontre du directeur
Le 22 avril 2010, le Tribunal correctionnel de Lyon juge Dominique Valmary, le directeur de l’hôpital au moment des faits. Le jugement, que Lyon Info a pu consulter, le reconnaît coupable de « blessures involontaires » et de « mise à disposition d’équipement de travail sans respect des règles d’utilisation ».
« Maladresse, imprudence, inattention, négligence », le verdict du tribunal est sévère. Le mauvais état du chariot était « dû à sa vétusté et à son utilisation non conforme aux recommandations du constructeur », écrit le juge, « l’entretien était assuré par des réparations de fortune ».
Depuis, Dominique Valmary a quitté l’hôpital. Pas les chariots. « L’administration ne veut pas dépenser de l’argent », s’indigne Jean-Pierre Le Coultre de la CGT. Ainsi, la cuisine continue de travailler avec du matériel vétuste et non conforme, au moins jusqu’en 2014 et une réorganisation complète du service.
Sollicité par Lyon Info, le nouveau directeur de l’établissement Hubert Meunier a refusé de s’exprimer, estimant dans un courriel que « le Centre Hospitalier le Vinatier n’a pas été mis en cause en tant que personne morale dans cette affaire » et rappelant que « le règlement a fait l’objet d’un protocole d’accord amiable entre le conseil de Monsieur Viret et notre avocat. »
Accord amiable qui tarde toutefois à se concrétiser. L’hôpital traine des pieds pour payer et multiplie les demandes d’expertises. Jean-Michel a ainsi dû passer trois examens cliniques rien que cette année. Une nouvelle visite chez un expert a été programmée pour mai. Il l’attend toujours. De quoi désespérer l’ancien commis de cuisine : « Parfois, je pète les plombs ! »