La salle mise à disposition au Foyer Ambroise Croizat était pleine comme un œuf. La centaine de sièges prévue par les organisateurs était prise d’assaut. Au moins autant de personnes ont dû rester debout. Trois associations, Notre Affaire à Tous, PFAS contre Terre et Bien Vivre à Pierre-Bénite, étaient venues présenter un recours collectif qu’elles proposent aux habitants d’un vaste territoire autour de la vallée de la chimie, concerné par la pollution aux PFAS.
« Arkema savait depuis 2006 », fustige Me Louise Tschanz du cabinet Kaizen, l’une des avocates qui travaillent sur ce dossier. « Ces entreprises visent des profits ». C’est donc au portefeuille qu’elle souhaite frapper les industriels. L’avocate espère une condamnation qui « les impacte suffisamment financièrement, pour que cela ne se reproduise plus. » Pour y parvenir, il faut être nombreux car il s’agit d’un ensemble de plaintes individuelles. L’objectif est donc de réunir 1000 plaignants concernés par des dommages liés aux PFAS.
Pour l’éternité
Les per- et polyfluoroalkylées, plus connus sous le nom de PFAS, représentent une famille de plus 10 000 produits chimiques employés dans l’industrie et les produits de consommation depuis la fin des années 1940. On les trouve dans de nombreux produits de la vie quotidienne : des textiles aux emballages alimentaires, en passant par les revêtements antiadhésifs et les cosmétiques, mais aussi dans les pesticides, les mousses anti-incendie, les implants médicaux ou encore les peintures.
Appelés « polluants éternels » la grande résistance des PFAS les rend quasi indestructibles dans l’environnement. Une fois émis, ils persistent durant des centaines, voire des milliers d’années. On retrouve leurs rejets partout : dans l’eau, l’air, le sol, jusqu’au œufs de poules et dans le lait maternel. Selon l’Anses, ils peuvent causer de nombreuses maladies : cholestérol, cancers, effets sur la fertilité et le développement du fœtus, sur le foie, les reins, etc. Ils sont également suspectés d’interférer avec le système hormonal et immunitaire. En 2023, le Centre international de recherche sur le cancer a respectivement classé le PFOA et le PFOS, deux PFAS historiques, comme « cancérogène certain pour l’humain » et « cancérigène possible ».
Selon une enquête du Forever Pollution Project, seize usines produisent des PFAS en Europe, dont cinq en France. Dans la vallée de la chimie au sud de Lyon, deux industriels se trouvent particulièrement dans le viseur des associations : Arkema et Daikin. Le scandale a éclaté ici en 2022 à la suite du documentaire Polluants éternels. Le journaliste Martin Boudot et une équipe de chercheurs indépendants avaient relevé les taux de perfluorés dans l’air, les sols, l’eau du Rhône, l’eau potable de la région lyonnaise et dans le lait maternel de jeunes mamans exposées. Le 10 mai 2022, ils ont présenté les résultats aux habitants et élus à la Maison de l’environnement de Lyon. L’effet est immédiat : le soir même, les révélations faisaient la « une » des journaux télévisés. Deux jours plus tard, Elise Lucet leur a consacré une émission d’Envoyé spécial. Le 20 mai, le préfet du Rhône a ordonné la surveillance quotidienne des rejets dans l’eau des deux usines. Dans la foulée, il a déconseillé aux riverains de consommer les fruits et légumes de leurs potagers, les œufs et les poules, d’utiliser l’eau des puits et les eaux pluviales et de manger les poissons pêchés dans le Rhône en aval des usines.
Un parcours judiciaire mitigé
Rapidement, des actions en justice sont dégainées : dès le mois de mai 2022, le maire de Pierre-Bénite porte plainte contre X pour mise en danger d’autrui. L’instruction est toujours en cours. Le même mois, des associations et riverains lancent des actions en référé (une procédure d’urgence) contre Arkema. Après des revers en première instance et en appel, la décision de la cour de cassation est attendue en avril prochain. En 2024, des projets d’extension des usines Arkema et Daikin, autorisés par la préfecture sont attaqués à leur tour devant le tribunal administratif. Là aussi, la procédure suit son cours. Seule victoire d’étape pour l’instant : la Métropole de Lyon a réussi à faire condamner Daikin et Arkéma à commander des études indépendantes sur la pollution de l’eau des nappes phréatiques. La collectivité estime à entre 5 et 10 millions d’euros le coût de dépollution.
Pas de quoi décourager les associations et leurs avocats qui soulignent l’effet de la médiatisation du scandale. « On a réussi à faire bouger les lignes » se félicite Me Tschanz. La procédure collective qu’ils préparent a maintenant pour but de faire passer la mobilisation à la vitesse supérieure. Tout est prêt : le cabinet d’avocats Kaizen a mis en place une plateforme en ligne pour que chaque plaignant puisse enregistrer son dossier. Au total « 220 000 personnes sont touchées », estime l’avocate. Notamment les habitants de Brignais, Chaponost, Charly, Feyzin, Francheville, Irigny, La Mulatière, Lyon 2, Lyon 7, Lyon 8, Oullins, Pierre-Bénite, Saint-Fons, Sainte-Foy-de-Lyon, Saint-Genis-Laval, Solaize, Vernaison et Vourles.
Il n’est pas nécessaire d’avoir déjà développé des symptômes d’une maladie pour s’associer à la procédure, soulignent les avocats. D’autres préjudices peuvent être indemnisés, notamment l’anxiété due aux risques sanitaires. « A Grézieu-la-Varenne, nous avons obtenu 20 000 euros de préjudice d’anxiété par personne » contre un industriel reconnu coupable de pollution du sol, indique Me Tschanz. Mais également le préjudice subi par des personnes privées du fruit de leur jardin ou de leur exploitation agricole, la perte de valeur d’une maison devenue invendable ou encore le préjudice des salariés des usines concernées.
Les plaignants ont jusqu’au 31 mars pour enregistrer leur dossier sur la plateforme pour un dépôt de l’assignation en justice en mai prochain, trois ans exactement après la publication de l’enquête Polluants éternels. Car le temps presse : le délai de prescription est de cinq ans et risque donc de prendre fin en 2027. La procédure coûte 360 euros lors du dépôt du dossier et 290 euros pour le suivi annuel. Des frais qui peuvent être pris en charge par une assurance juridique ou l’aide juridictionnelle pour ceux qui y ont droit. Aux États-Unis, l’entreprise DuPont, autre grand producteur de PFAS, a dû s’acquitter de plusieurs milliards d’euros de compensations financières suite au scandale de la pollution éternelle autour de son usine de Parkersburg (Virginie-Occidentale, Etats-Unis) à la fin des années 1990. Le film Dark Waters, relate la découverte de ce scandale par l’avocat Rob Bilott, incarné par l’acteur Mark Ruffalo.
Infos : notreaffaireatous.org, kaizen.avocat.fr
Des webinaires gratuits sont prévus le jeudi 20 février, 13h à 14h et le mercredi 12 mars, 19h à 20h pour répondre à toutes les questions.