« Lyon suffoque, de l’air ! » ou encore « On veut respirer », ces slogans fleurissent depuis quelques jours au sol et sur les murs de la ville, dessinés au pochoir, à la bombe de craie ou au jet à haute pression. L’occasion pour Greenpeace et Alternatiba/ANV Rhône, les associations à l’origine de cette action médiatique, d’alerter le public sur la question de la pollution de l’air en ville.
Car la pollution tue : Selon le dernier rapport de l’OMS, environ 500 000 personnes en Europe, dont 48 000 en France décèdent chaque année de maladies causées par la pollution atmosphérique : cancers des poumons, maladies cardiovasculaires, infections respiratoires, accidents vasculaires cérébraux (AVC)… Dans le viseur de la Commission européenne depuis près de dix ans pour non-respect de la directive de 2008 sur la qualité de l’air, la France a été renvoyée en mai dernier par Bruxelles devant la Cour de justice de l’Union européenne et encourt une sanction d’au moins 11 millions d’euros assortie d’astreintes journalières d’au moins 240 000 euros jusqu’à ce que les normes de qualité de l’air soient respectées.
En 2015, Ségolène Royal, alors ministre de l’environnement, avait lancé le programme des villes respirables à 5 ans. Un appel à projets auquel Lyon s’est empressée de répondre. Avant de se rendormir aussi sec, se contentant de brasser de temps en temps un peu de vent (pollué) à coups de Plan Oxygène. Alors que la ville de Paris a mis en œuvre une ZFE pour la première fois fin 2015, élargie depuis à 79 communes du Grand Paris, et que Grenoble expérimente un dispositif similaire depuis 2017, il faudra attendre encore un an et le 1er janvier 2020 pour voir les premières mesures s’appliquer entre Rhône et Saône.
A partir de cette date, et après une année 2019 consacrée à la « pédagogie », selon l’exécutif métropolitain, les poids lourds et utilitaires les plus polluants n’auront alors plus droit de cité dans la nouvelle ZFE. Soit dans une zone qui recouvrira Lyon et Caluire, ainsi que les parties de Villeurbanne, Bron et Vénissieux à l’intérieur du périphérique, à l’exception toutefois de l’autoroute A6/A7. L’accès à cette zone sera interdit dès 2020 aux véhicules de marchandises disposant d’une vignette Crit’Air 4 ou 5 ou sans vignette, soit les utilitaires immatriculés avant 2005 et les poids lourds d’avant 2009. Un an plus tard, la mesure sera étendue aux véhicules siglés Crit’Air 3 (poids lourds d’avant 2013 et utilitaires au-delà de 2010).
Mais voilà, aucune restriction n’est prévue pour les voitures individuelles, pourtant responsables de 40 pourcents des émissions d’oxyde d’azote, plus de la moitié du CO2, 60 pourcents des particules fines et des trois quarts du trafic en ville. Sans oublier les nanoparticules, tellement petites qu’elles passent dans le sang et provoquent cancers du poumon et de la vessie chez les non-fumeurs ou d’asthme chez les enfants. « Ce projet de ZFE tel que présenté manque de continuité (aucune proposition au-delà de 2021) et donc d’ambition », fustige Pierre Hémon, élu vert en charge des mobilités actives au Grand Lyon, dans une tribune sur le site Rue89Lyon. « C’est un petit pas à l’heure de l’urgence climatique ».
Pour se justifier, le Grand Lyon entonne toujours le même refrain : il ne faut pas pénaliser les plus pauvres, grands utilisateurs, selon lui, de guimbardes d’un autre âge. Une antienne, jamais étayée par des chiffres, mais qui fait office de religion au sein de l’exécutif métropolitain. « Je pense à une infirmière qui habite en périphérie et qui prend son service à 6 heures du matin à la Croix-Rousse : sans voiture, je vous souhaite beaucoup de courage pour être à l’heure ! », larmoyait ainsi le nouveau président du Grand Lyon, David Kimelfeld, dans une longue interview publiée dans Lyon Capitale.
Ceci alors que l’élection du maire du 4ème à la tête de la Métropole avait suscité quelques espoirs. Cycliste régulier, à l’inverse de son illustre prédécesseur devenu ministre de l’Intérieur, Kimelfeld avait clamé sa mue : « Celles et ceux qui étaient comme moi, qui regardaient [l’écologie] de loin, étaient moins sensibles sur cette question, ont pris conscience qu’il fallait accélérer les actions. », avait-il assuré dans l’article de Lyon Capitale. N’avait-il pas reçu les organisateurs de la première Marche pour le climat, au lendemain d’une manifestation qui avait rassemblé entre 10 000 et 15 000 personnes dans les rues de Lyon ? Promis d’impliquer les citoyens dans les décisions du Grand Lyon sur le climat ?
Mais voilà, peu d’actes ont suivi ces belles paroles. Trois autres marches (13 octobre, 8 décembre et 27 janvier) plus tard, les associations se sentent flouées. « Depuis début septembre, première marche climat, nous demandons que soit élargie cette zone [à faible émission] aux véhicules particuliers et une accélération du développement des alternatives. Nous n’avons pas été entendus », commente amer Maxime Forest, d’Alternatiba Rhône, l’un des porte-paroles du mouvement. Si bien qu’une trentaine de militants se sont invités le 17 janvier dernier à la cérémonie des vœux du 3ème arrondissement et celle de Saint-Genis-Laval pour maintenir la pression sur les élus. Leur message : « les mesures proposées manquent d’ambition et ne sont absolument pas à la hauteur de l’urgence climatique et sanitaire ».
Car il reste beaucoup à faire entre Rhône et Saône. Dans un comparatif publié en juin dernier par Greenpeace, Lyon arrive péniblement en milieu de tableau. Là où Paris brille par sa lutte contre la pollution automobile, Nantes par son offre de transports en commun et Strasbourg par ses aménagements cyclables, Lyon ne brille absolument nulle part. Pire, la ville arrive même bon dernier pour sa politique cyclable et ceci malgré ses Vélo’v. La Fédération des usagers de la bicyclette n’est pas plus tendre. Dans son comparatif, la capitale des Gaules obtient tout juste la moyenne. « Le temps est venu pour la Métropole de Lyon de faire son coming-out cycliste », s’écrie Fabien Bagnon de La Ville à vélo dans une tribune publiée par Rue89Lyon. Pour que la Métropole rattrape son retard, les associations réclament 2000 kilomètres de voies cyclables d’ici fin 2026, soit trois fois plus qu’aujourd’hui (et le double de ce qui est prévu en 2020), un réseau express reliant les villes du Grand Lyon entre elles, des zones 30 dans les centres-villes de l’agglomération ou encore des lieux se stationnement sécurisés.
La situation n’est pas beaucoup plus reluisante du côté des transports en commun. Un faible 3/5 dans le comparatif de Greenpeace. Trop de zones blanches entâchent encore le réseau des TCL. Ainsi vaut-il mieux ne pas habiter Montchat, le Point-du-jour ou Saint Rambert si on veut se passer de la voiture. Aucune ligne de métro ou de tramway ne dessert ces quartiers, ou seulement à la lisière. Et qui n’a jamais maudit les TCL en attendant son bus une demi-heure après une soirée cinéma à la Cité Internationale ? « Sur les prochaines années, il va falloir intensifier le réseau de transport. C’est un point où on n’est pas mal dans la métropole de Lyon, mais on peut quand même aller plus vite, faire plus », reconnait David Kimelfeld dans les colonnes de Lyon Capitale.
Pendant que le Grand Lyon tergiverse, d’autres métropoles ont pris les devants : Stuttgart et Düsseldorf en Allemagne commencent à interdire l’accès aux véhicules diesel, Oslo et Madrid aménagent de vastes zones sans voiture, Hambourg et Chengdu en Chine veulent rendre les déplacements à pied plus rapides qu’en voiture, sans oublier Tokyo qui restreint depuis 2003 la circulation des véhicules diesel, ce qui a permis de réduire le taux de particules fines de 44 pourcents et la mortalité respiratoire de 22 pourcents dans la capitale japonaise.
Des exemples qui inspirent les militants lyonnais. Dans un Manifeste pour une métropole vivable qu’elles ont remis à David Kimelfeld, les associations demandent des mesures concrètes : le développement des énergies renouvelables, la lutte contre la précarité énergétique et alimentaire ainsi qu’un catalogue de mesures pour rendre l’air lyonnais de nouveau respirable : la fin du diesel d’ici 2024 et des véhicules essences d’ici 2028 dans les zones urbaines, le doublement des zones piétonnes ou encore deux fois plus d’argent pour les transports en commun. Et l’infirmière, si chère au président métropolitain, pourra peut-être un jour se rendre en bus à son travail, pour peu que la ligne C13, qui dessert l’hôpital de la Croix-Rousse, propose mieux qu’un seul passage entre 5 et 6 heures du matin.